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    jeudi, 09 février 2023 13:16

    Le recours préalable obligatoire contre les avis conformes défavorables de l’ABF est sain et sauf

    Écrit par Philippe Tosi

    Le Conseil constitutionnel, saisi dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionalité, a déclaré conforme à la Constitution la procédure instaurant un recours préalable obligatoire contre les avis conformes de l’architecte des bâtiments de France pour les travaux dans le périmètre d’un site patrimonial remarquable ou dans les abords des monuments historiques.

     

    RAPO ABF

     

    Décision n° 2022-1032 QPC du 27 janvier 202

    M. Osman B. [Recours contre l’avis défavorable de l’architecte des Bâtiments de France à l’occasion du refus d’autorisation de certains travaux]

    Le Conseil Constitutionnel, saisi par une QPC transmise par la juridiction administrative, s’est prononcé sur la conformité à la Constitution des dispositions de l’article L. 632-2 du code du patrimoine, le requérant critiquant le fait qu’il n’est nullement précisé, dans le texte, « si le recours administratif prévu contre l’avis négatif de l’architecte des Bâtiments de France doit obligatoirement être exercé préalablement au recours contentieux contre le refus d’autorisation d’urbanisme faisant suite à cet avis. » (§ 3)

    Ce faisant, le requérant critiquait et cherchait en réalité à renverser la jurisprudence constante du Conseil d’Etat en matière de recours préalable obligatoire, laquelle considère qu’une requête en annulation est irrecevable en l’absence d’un pareil recours.

    En effet, et pour rappel – nous renvoyons sur ce point à l’étude consacrée au recours administratif préalable obligatoire élaborée en 2008 par la Section du Rapport et des Etudes du Conseil d’Etat –, une personne soumise à l’obligation de recours administratif préalable n’est, sauf disposition contraire, recevable à présenter un recours contentieux qu’à la condition de l’avoir elle-même formé antérieurement à la saisine du juge administratif (par exemple : CE, Sect., 28 juin 2013, SAS Coutis, n° 355812).

    Le fondement de cette règle jurisprudentielle est assez clair : la décision issue du recours préalable se substituant à la décision initiale, seule celle-ci doit être déférée devant le juge de l’excès de pouvoir.

    Pour stricte qu’elle puisse apparaître, cette règle connaît toutefois des infléchissements.

    Certes, dans l’hypothèse où la substitution entre la décision initiale et la décision rendue sur RAPO est d’ores intervenue avant l’introduction de la requête, les conclusions de celle-ci sont irrecevables (CE, Section, 18 novembre 2005, Houlbreque, n° 270075 ; CE, 8 juillet 2005, Ministre de la Santé, de la famille et des personnes handicapées, n° 264366).

    Toutefois, d’une part, le juge administratif ne s’empêche pas de requalifier d’office les conclusions du requérant, en les regardant comme dirigées contre la décision prise sur recours administratif préalable obligatoire dans l’hypothèse où une décision sur RAPO est intervenue (CE, 19 décembre 2008, Mme Mellinger épouse Praly, n° 297187, A).

    Par ailleurs, « dès lors que le RAPO a été adressé à l'administration préalablement au dépôt de la demande contentieuse, la circonstance que cette dernière demande ait été présentée de façon prématurée, avant que l'autorité administrative ait statué sur le recours administratif, ne permet pas au juge administratif de la rejeter comme irrecevable si, à la date à laquelle il statue, est intervenue une décision, expresse ou implicite, se prononçant sur le recours administratif. » (CE, 16 juin 2021, n° 440064).

    En ce qui concerne plus précisément les dispositions de l’article L. 632-2 du code du patrimoine, leur incidence sur les autorisations d’urbanisme résulte des articles R. 423-54[1] et R. 424-14 du code de l’urbanisme.

    Ce dernier article dispose en effet :

    « Lorsque le projet est situé dans le périmètre d’un site patrimonial remarquable ou dans les abords des monuments historiques, le demandeur peut, en cas d’opposition à une déclaration préalable ou de refus de permis fondé sur un refus d’accord de l’architecte des Bâtiments de France, saisir le préfet de région, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, d’un recours contre cette décision dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’opposition ou du refus.

    Le préfet de région adresse notification de la demande dont il est saisi au maire s’il n’est pas l’autorité compétente, et à l’autorité compétente en matière d’autorisations d’urbanisme.

    Le délai à l’issue duquel le préfet de région est réputé avoir confirmé la décision de l’autorité compétente en cas de recours du demandeur est de deux mois.

    Si le préfet de région infirme le refus d’accord de l’architecte des Bâtiments de France, l’autorité compétente en matière d’autorisations d’urbanisme statue à nouveau dans le délai d’un mois suivant la réception de la décision du préfet de région. »

    Il résulte de ces dispositions que, quels que soient les moyens sur lesquels son recours est fondé, un pétitionnaire n’est pas recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre la décision de refus d’une autorisation d’urbanisme portant sur un immeuble situé dans le périmètre d’un site patrimonial remarquable ou dans les abords des monuments historiques, faisant suite à un avis négatif de l’architecte des Bâtiments de France, s’il n’a pas, préalablement, saisi le préfet de région, selon la procédure spécifique définie à l’article R. 424-14 du code de l’urbanisme.

    Un requérant qui saisit directement le juge administratif peut se voir opposer l’irrecevabilité de sa demande faute d’avoir exercé préalablement un recours préalable obligatoire, quand bien il ne lui aurait pas été indiqué qu’il devait au préalable saisir l’administration, (voir sur ce point, s’agissant d’une décision de l’ABF : CE, 28 mai 2010, Dufour, n° 327615, fiché B).

    En l’espèce, le Conseil constitutionnel n’a pas remis en cause ce corpus juridique bien établi par le juge administratif, écartant les deux moyens soulevés par le demandeur.

    Fut tout d’abord écarté le moyen tiré de l’incompétence négative du législateur, au motif les dispositions de la procédure à suivre devant les juridictions administratives relevaient de la compétence réglementaire au sens des articles 34 et 37 de la Constitution.

    Elément intéressant, le Conseil constitutionnel a précisé que, l’instauration d’un recours préalable obligatoire ne remettant pas en cause le droit des administrés d’agir en justice, pareille exigence ne portait pas atteinte au droit à un recours effectif tel qu'il résulte de l'article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

    Quant au moyen tiré de la méconnaissance de l’objectif d’intelligibilité et de clarté de la loi, celui-ci fut implicitement écarté.

    Ce recours préalable obligatoire est ainsi préservé.

     

    [1] « Lorsque le projet est situé dans le périmètre d’un site patrimonial remarquable ou dans les abords des monuments historiques, l’autorité compétente recueille l’accord de l’architecte des Bâtiments de France. […] »