Crédit dessin: Michel Szlazak
Nous vous avions écrit en mars dernier au sujet des règles dérogatoires de réunion des organes délibérants des sociétés durant l’épidémie, et qui permettaient pour l’essentiel aux personnes morales de droit privé (et entités de droit privé dépourvues de la personnalité morale) de tenir leurs assemblées et autres réunions des organes collégiaux à huis clos, en recourant à la visio-conférence ou audiovisuelle ou encore à la consultation écrite suivant des conditions fixées par l’ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020. Ces règles ont pris fin le 30 novembre 2020, mais ont repris cours, moyennant quelques aménagements, pour les réunions qui se tiendront jusqu’au 1er avril 2021 (ou jusqu’au 31 juillet 2021 sur décret), avec l’ordonnance du 2 décembre 2020 (n° 2020-1497).
Il demeure néanmoins un « vide juridique » regrettable entre le 30 novembre 2020 et le 3 décembre 2020, date de publication de l’ordonnance.
Dans l’ensemble, la plupart des dispositions exceptionnelles demeurent inchangées à l’exception de celles qui suivent.
NULLITE DE L’ASSEMBLEE
Tout d’abord, la nullité de l’assemblée en raison d’une convocation par voie postale non parvenue (évidemment pour des raisons externes à l’auteur de la convocation) est désormais écartée pour toutes les entités visées par l’ordonnance et non plus seulement pour les sociétés cotées.
LES MOTIFS DU RECOURS AU HUIS CLOS
L’ordonnance du 25 mars 2020 autorisait initialement la tenue de telles assemblées lorsque le lieu prévu pour la réunion était « affecté à la date de la convocation ou à celle de la réunion par une mesure administrative limitant ou interdisant les rassemblements collectifs pour des motifs sanitaires ». Cette disposition est remplacée par la preuve qu’à la date de la convocation de l’assemblée ou à celle de sa réunion, une mesure administrative limitant ou interdisant les déplacements ou les rassemblements collectifs pour des motifs sanitaires fait obstacle à la présence physique à l’assemblée de ses membres ». L’appréciation devra donc désormais se faire in concreto.
DELEGATION DE CONVOCATION
Par ailleurs, la délégation de convoquer une assemblée à huis clos, qui ne pouvait être donnée initialement qu’au seul représentant légal du groupement par l’organe compétent pour décider la convocation, pourra être donnée à toute personne.
LA PROTECTION DES ACTIONNAIRES DE SOCIETES COTEES RENFORCEE
En outre, le législateur a entendu renforcer la protection des actionnaires de société cotée (autre qu’une Sicav) en cas de tenue d’une l’assemblée à huis clos sans possibilité d’y participer par voie de conférence téléphonique ou audiovisuelle, en imposant :
VOTE PAR CORRESPONDANCE GENERALISE
Afin de faciliter l’exercice du droit de vote par les associés ne participant pas à l’assemblée, le vote par correspondance est désormais autorisé sur décision de l’organe compétent pour convoquer l’assemblée ou son délégataire par toutes les entités visées par l’ordonnance (à l’exception des sociétés cotées), sans qu’une clause des statuts ne soit nécessaire à cet effet ni ne puisse s’y opposer. Ce vote est possible quel que soit l’objet de la décision.
Pour les entités pour lesquelles le vote par correspondance n’est pas admis en période normale, un décret d’application précisera les conditions d’exercice de ce vote.
CHANGEMENT DES MODES DE PARTICIPATION A L’ASSEMBLEE
Désormais, une société cotée décidant de modifier le mode de participation à l’assemblée pour un mode alternatif devra en avertir ses associés non seulement « dès que possible », mais surtout « au plus tard trois jours ouvrés au moins avant la date de l’assemblée », alignant ainsi le régime sur les entités non cotées.
En outre, inversement, si après avoir convoqué pour une tenue de l’assemblée sur un mode alternatif, il était finalement décidé de tenir physiquement l’assemblée, la nouvelle ordonnance précise que les associés doivent alors en être informés dans les mêmes conditions que dans le cas inverse. Dans les sociétés cotées, ce changement ne remet toutefois pas en cause l’obligation de retransmettre l’assemblée et de publier les questions écrites des associés sur le site internet de la société.
CONSULTATION ECRITE DES ASSOCIES
Enfin, la voie de la consultation écrite est désormais étendue à toutes les entités visées par l’ordonnance, à l’exception des sociétés cotées, y compris celles pour lesquelles la loi ne prévoit pas déjà ce mode de consultation.
Le cabinet est à votre disposition pour vous accompagner dans le choix du mode de réunion ainsi que dans la rédaction des convocations et de la documentation juridique.
Crédit dessin: Michel Szlazak
Selon un arrêt rendu le 26 novembre 2020 par la Cour de cassation, il ressort que l’insuffisance de performance d’un élément d’équipement dissociable, en l’occurrence une pompe à chaleur, peut permettre d’engager la responsabilité décennale du constructeur, si ce désodre rend également l’ouvrage, dans son ensemble, impropre à sa destination
Focus sur l’arrêt rendu par la 3e chambre civile de la Cour de cassation, 26 novembre 2020, 19-17.824
Ayant sans doute à l’esprit la volonté de limiter l’application de la responsabilité décennale des constructeurs aux dommages les plus graves, le législateur a prévu les conditions dans lesquelles elle trouvait à s’appliquer lorsque le dommage relève, non pas de l’ouvrage lui-même, mais d’un élément d’équipement de cet ouvrage.
Lorsque le dommage trouve son origine dans un élément d’équipement d’une construction, la garantie décennale peut s’appliquer dans deux cas de figure :
- si le dommage affectant l’élément d’équipement a pour effet de rendre l’ouvrage impropre à sa destination (article 1792 du code civil) ;
- si le dommage n’affecte que l’élément d’équipement dans sa solidité mais que ce dernier est indissociable de l’ouvrage (1792-2 du code civil).
Etant rappelé qu’un élément d’équipement est considéré comme indissociable de l’ouvrage lorsqu’il forme indissociablement corps avec l'un des ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s'effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage.
Dans la première hypothèse qui nous occupera, il est absolument indifférent que l’élément d’équipement affecté des désordres soit ou non dissociable de l’ouvrage, sauf à mélanger les conditions de l’article 1792 du code civil.
L’arrêt rendu par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation le 26 novembre 2020 s’inscrit dans cette hypothèse du désordre qui affecte un élément d’équipement rendant l’ouvrage impropre à destination.
Des particuliers avaient commandé à une entreprise la fourniture et l’installation dans leur maison d’une pompe à chaleur et d’un ballon thermodynamique. Se plaignant de pannes survenues durant l’hiver, ils ont assigné ladite entreprise et son assureur en indemnisation des préjudices ou en remboursement du prix payé et du coût du financement.
La Cour d’appel de Bastia, dans un arrêt rendu le 27 mars 2019 (CA Bastia, 27 mars 2019, n° 15/00558), avait considéré que le nouveau système de chauffage installé était inadapté au volume d’air à chauffer, que l’installateur aurait dû conseiller à ses clients de prévoir un chauffage d’appoint et que le mode de chauffage existant ne nécessitait pas l’installation d’une pompe à chaleur dont le coût en électricité était plus important.
Les juges d’appel condamnaient ainsi l’entreprise et son assureur sur le fondement de la responsabilité décennale, au motif que les désordres qui trouvaient leur source dans un élément d’équipement rendaient l’ouvrage dans son ensemble (l’habitation) impropre à destination. Et la Cour de rappeler qu’il est indifférent, dans le cas d’une impropriété à destination de l’ouvrage, que l’élément d’équipement en soit ou non dissociable.
Un pourvoi est formé, l’assureur soutenant que la défaillance de l’installation ne rendait pas l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination.
La Cour de cassation rejette le pourvoi aux motifs que les désordres atteignant l’élément d’équipement en cause rendaient l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination et relevaient par conséquent de la garantie décennale.
Cet arrêt ne doit pas passer inaperçu en ce qu’il étend ainsi le champ d’application de la responsabilité décennale des constructeurs à des éléments d’équipement dissociables qui portent atteinte à l’habitabilité de l’ouvrage.
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En raison de l’évolution de l'épidémie de Covid-19, une ordonnance parue au Journal Officiel le 19 novembre 2020 prolonge les dispositions permettant la tenue d'assemblées générales de copropriété à distance jusqu'au 1er avril 2021. Les contrats des syndics et les mandats des conseils syndicaux expirant avant le 31 décembre 2020 bénéficient quant à eux d'une prorogation automatique.
Les articles 22 et suivants de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux contrats de syndic de copropriété ont permis la tenue d'assemblées générales totalement dématérialisées, la prise de décisions du syndicat des copropriétaires par le mode exclusif du vote par correspondance, et le renouvellement automatique des mandats des organes de la copropriété expirés durant la première période de confinement.
Ces mesures, mises en place depuis le 1er juin 2020, ne sont applicables que jusqu’au 31 janvier 2021. Toutefois, compte tenu des conditions sanitaires actuelles et la poursuite de l'état d'urgence sanitaire, l’ordonnance n°2020-1400 du 18 novembre 2020 vient prolonger ces dispositions en y apportant quelques aménagements.
Compte tenu des interdictions de regroupement consécutives à la pandémie de Covid-19, les copropriétés se sont trouvées dans l'impossibilité matérielle de tenir des assemblées générales dans des conditions normales.
Ainsi, les assemblées générales ne pouvant pas se tenir en présentiel peuvent se tenir par visioconférence, par tout autre moyen de communication électronique permettant l'identification des copropriétaires et par vote par correspondance jusqu'au 1er avril 2021.
Dans les cas où le recours à la visioconférence n'est pas possible, les décisions du syndic peuvent être prises au seul moyen du vote par correspondance. Un modèle de formulaire de vote par correspondance a été publié le 3 juillet 2020 (cf. Arrêté du 2 juillet 2020 fixant le modèle de formulaire de vote par correspondance aux assemblées générales de copropriétaires).
Pour toute assemblée déjà convoquée entre le 29 octobre 2020 et le 4 décembre 2020, le syndic doit informer à tout moment les copropriétaires qu'ils prendront leurs décisions par le moyen exclusif du vote par correspondance et qu'ils bénéficient à cette fin d'un nouveau délai pour lui transmettre leurs formulaires de vote. Ce nouveau délai ne peut être inférieur à 15 jours à compter de la réception de ce courrier.
Dans ce cas, les décisions du syndicat de copropriétaires devront être prises au plus tard le 31 janvier 2021.
Cette ordonnance prévoit également que les contrats de syndics ainsi que les mandats des membres du conseil syndical qui expirent ou qui ont expiré entre le 29 octobre 2020 et le 31 décembre 2020 sont prolongés jusqu'à la tenue de la prochaine assemblée générale. Cette assemblée devra impérativement avoir lieu au plus tard le 31 janvier 2021.
Toutefois, cette prolongation automatique n'est pas applicable lorsque l'assemblée générale des copropriétaires a désigné, avant le 19 novembre 2020, les membres d'un conseil syndical ou bien un syndic dont le contrat prend effet à compter du 29 octobre 2020.
Quant à la rémunération forfaitaire du syndic, elle est déterminée selon les termes du contrat qui expire ou a expiré, au prorata de la durée de son renouvellement.
Les dérogations prévues par l'article 22-3 de l’ordonnance n°2020-1400 sont maintenues, de même que celui des règles de cumul des mandats.
Un mandataire peut recevoir plus de trois délégations de vote si le total des voix dont il dispose lui-même et de celles de ses mandants n'excède pas 15 % des voix du syndicat des copropriétaires (au lieu des 10 % ordinairement prévus par l’article 22 de la loi du 10 juillet 1965).
En cette période prolixe d’exercice du pouvoir réglementaire, certaines réformes n’ayant aucun lien avec la pandémie de COVID-19 – et la situation économique, sociale et sanitaire qui en découle – sont amorcées.
Il en va ainsi d’une réflexion sur la place de l’oralité dans la procédure administrative contentieuse.
Alors que la procédure était essentiellement écrite, est intervenu il y a quelques jours un décret introduisant une dose supplémentaire d’oralité.
Ainsi, le décret n° 2020-1404 du 18 novembre 2020 portant expérimentation au Conseil d'Etat des procédures d'instruction orale et d'audience d'instruction et modifiant le code de justice administrative prévoit, pendant une durée de dix-huit mois devant le Conseil d’Etat, qu’« une instruction orale peut être organisée pour compléter l'instruction écrite » (article 1er du décret n° 2020-1404).
Cette procédure orale peut intervenir :
Dans les deux cas, la formation « entend les parties sur toute question de fait ou de droit dont l'examen paraît utile » (article 2 et article 4) et a le pouvoir de convoquer « toute personne dont l'audition paraît utile » (article 3 et article 6 al.2).
Dans les deux cas également, le courrier de convocation « fait état des questions susceptibles d'être évoquées » (article 3 et article 6).
La différence entre les deux semble résider dans la faculté d’évoquer toute autre question que celles dont il a été fait état par le courrier de convocation.
En effet, si l’article 3 prévoit cette possibilité pour la séance d’instruction, tel n’est pas le cas pour l’audience d’instruction.
Cela étant, les parties conservent la faculté de « présenter des observations orales » à l’audience d’instruction (article 7)…
Bien qu’il ne s’agisse que d’une expérimentation devant le Conseil d’Etat, cette modification du code de justice administrative montre une progression de l’oralité devant le Juge administratif.
Cette progression contraste avec sa nette diminution devant le juge judiciaire, devant lequel, dans la pratique, les présidents de formation de jugement préconisent l’absence pure et simple de plaidoirie.
Le rapport d'évaluation de cette expérimentation, qui devrait être remis au garde des sceaux en avril 2022 (article 1er).
Comme annoncé par le gouvernement, le projet de loi de finance a été enrichi d’un article complémentaire concernant le crédit d’impôt en faveur des bailleurs ayant consenti un abandon définitif de loyer à leur locataire durant la période d’application des restrictions de déplacement prévues à l’article 4 du décret n° 2020‑1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire (dont l’issue n’est pas encore connue).
Un crédit d’impôt pour qui ?
Les bailleurs, personnes physiques ou morales de droit privé, pourront bénéficier d’un crédit d’impôt au titre des abandons ou renonciations définitifs de loyers (hors accessoires échus ou à échoir) consentis au profit d’entreprises locataires qui remplissent les conditions suivantes :
Lorsque l’entreprise locataire est exploitée par un ascendant, un descendant, ou un membre du foyer fiscal du bailleur, ou lorsqu’il existe des liens de dépendance entre elle et le bailleur, le bénéfice du crédit d’impôt est subordonné à la condition que le bailleur puisse justifier par tous moyens des difficultés de trésorerie de l’entreprise locataire.
Crédit d’impôt mis en place
Le crédit d’impôt est égal à 50 % de la somme totale des abandons ou renonciations de loyers visés par la mesure.
Toutefois, pour les entreprises locataires de 250 salariés ou plus, le montant de l’abandon ou de la renonciation consenti par le bailleur du local au titre d’un mois ne sera retenu que dans la limite des deux tiers du montant du loyer prévu au bail.
Enfin, le montant total des abandons ou renonciations de loyers donnant lieu à crédit d’impôt dont bénéficie chaque entreprise locataire ne pourra excéder un plafond de 800 000 €.
En pratique
Le crédit d’impôt s’applique pour le calcul de l’impôt sur le revenu dû par le contribuable au titre de l’année civile au cours de laquelle les abandons ou renonciations définitifs de loyers ont été consentis, y compris en cas de clôture d’exercice en cours d’année civile.
Le crédit d’impôt est imputé sur l’impôt sur les sociétés dû par l’entreprise au titre de l’exercice au cours duquel les abandons ou renonciations définitifs de loyers ont été consentis.
Dans les deux cas, si le montant du crédit d’impôt excède l’impôt dû au titre de cet exercice, l’excédent est restitué.
Par dérogation, le crédit d’impôt serait imputable sur l’impôt sur le revenu ou sur les sociétés, selon les cas, dû au titre de l’année 2021.
Pour bénéficier du crédit d’impôt, les bailleurs devront déposer une déclaration conforme à un modèle établi par l’administration dans les mêmes délais que la déclaration annuelle de revenu ou de résultat.
Si le dispositif est louable, on regrette que seuls certains commerces en difficulté soient visés par la mesure et qu’aucune condition de perte de chiffre d’affaires n’ait pas été posée… Nous suivrons pour vous comment ce dispositif sera définitivement adopté.
[1] apprécié au sein de groupe de sociétés en cas de sociétés contrôlées ou contrôlantes au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce. Des dispositions spécifiques s’appliquent aux associations.
I
ll y aurait contestation sérieuse !
Par deux ordonnances du Président du Tribunal Judiciaire de Paris du 26 octobre 2020, le juge des référés a estimé qu’il n’était pas possible pour le bailleur d’agir en référé en paiement des loyers dus au titre du deuxième trimestre 2020. Le bailleur est donc invité à agir au fond, procédure plus longue que la précédente.
Ces ordonnances nous donnent plusieurs enseignements sur l’éventail des arguments que le locataire peut avancer à son bailleur en cette période complexe pour différer le règlement du loyer :
Le juge examine en revanche l’inexécution par le locataire de son obligation de payer les loyers au regard de l’exigence d’exécution de bonne foi du contrat, et vérifie si les circonstances n’ont pas rendu nécessaire une adaptation des modalités d’exécution des obligations respectives des parties, susceptible d’influencer leur exigibilité.
En l’espèce, le juge a été sensible au comportement du locataire qui a entamé des démarches pour trouver une solution amiable à ses difficultés.
Il s’agit de deux décisions particulièrement intéressantes car elles trouvent à s’appliquer à des commerces qui n’étaient pas nécessairement fermés (la salle de sport, probablement, mais sans doute pas la parapharmacie).
En revanche, concernant le troisième trimestre 2020, le juge a condamné au paiement tout en octroyant des délais de paiement.
Ces décisions montrent à quel point les démarches amiables ont leur importance dans l’appréciation du juge, et toute l’utilité d’un accompagnement juridique de qualité dans cette période inédite.
Par une ordonnance n° 2006788 du 3 novembre 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a suspendu l’exécution de l’arrêté du maire de Colmar autorisant la réouverture de l'ensemble des commerces non alimentaires de vente au détail de la commune.
Autorité de police générale, le maire ne peut concourir à l’exercice de la police spéciale exercée par l’Etat dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire que dans des cas limités : en cas de carence de l’autorité de police spéciale, ou pour prendre des mesures plus sévères si des circonstances locales le justifient.
Le maire ne peut en revanche assouplir les mesures de police spéciale prises par l’Etat, juge le tribunal administratif. L’arrêté du maire de Colmar est donc considéré comme illégal, car non conforme au décret du 29 octobre 2020, par lequel le Premier ministre a prévu la fermeture des magasins correspondants.
Pour autant, la question de la compétence du maire pour autoriser cette réouverture reste posée ; en effet, le Conseil d’Etat a posé le principe selon lequel le maire ne saurait légalement prendre sur son territoire des mesures de police générale dans un domaine relevant des pouvoirs de police spéciale confiés aux autorités de l’État (CE, 26 octobre 2011, n° 326492).
Les motifs de l’ordonnance du tribunal administratif de Colmar sont reproduits ci-dessous :
« (…) Sur le cadre juridique :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 3131-12 du code de la santé publique : « L’état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population. Aux termes de l'article L. 3131-15 « I.- Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : (…) 5° ordonner la fermeture provisoire et réglementer l'ouverture, y compris les conditions d'accès et de présence, d'une ou plusieurs catégories d'établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, en garantissant l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité (…). L'article L. 3131-16 donne compétence au ministre chargé de la santé pour prescrire « par arrêté motivé, toute mesure réglementaire relative à l'organisation et au fonctionnement du dispositif de santé, à l'exception des mesures prévues l'article L. 3131-1, visant à mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l'article L. 3131-12 ainsi que pour prescrire « tome mesure individuelle nécessaire à l'application des mesures prescrites par le Premier ministre en application des 1° à 9° du I de l'article L. 3131-15. Enfin aux termes de I 'article L. 3131-17 : « Lorsque le Premier ministre ou le ministre chargé de la santé prennent des mesures mentionnées aux articles L. 3131-15 et L. 3131-16, ils peuvent habiliter le représentant de l'Etat territorialement compétent à prendre toutes les mesures générales ou individuelles d'application de dispositions. / Lorsque les mesures prévues aux 1°, 2° et 5° à 9° du I de l'article L. 3131-15 et à l'article L. 3131-16 doivent s'appliquer dans un champ géographique qui n 'excède pas le territoire d'un département, les autorités mentionnées aux mêmes articles L. 3131-15 et L. 3131-16 peuvent habiliter le représentant de l'Etat dans le département à les décider lui-même. Les décisions sont prises par ce dernier après avis du directeur général de l'agence régionale de santé. (…)». Le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 a déclaré l'état d'urgence sanitaire à compter du 17 octobre 2020 sur l'ensemble du territoire de la République
3. Par décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020, le Premier ministre a prescrit les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. Son article 37 prévoit que les magasins de vente, relevant de la catégorie M, mentionnée par le règlement pris en application de l'article R. 123-12 du code de la construction et de l'habitation, ne peuvent accueillir du public que pour leurs activités de livraison et de retrait de commandes ou les activités suivantes : « Entretien, réparation et contrôle technique de véhicules automobiles, de véhicules, engins et matériels agricoles ; - Commerce d'équipements automobiles ; Commerce et réparation de motocycles et cycles ; Fourniture nécessaire aux exploitations agricoles ; Commerce de détail de produits surgelés ; Commerce d'alimentation générale ; Supérettes ; Supermarchés ; Magasins multi-commerces ; Hypermarchés ; Commerce de détail de fruits et légumes en magasin spécialisé ; Commerce de détail de viandes et de produits à base de viande en magasin spécialisé ; Commerce de détail de poissons, crustacés et mollusques en magasin spécialisé ; Commerce de détail de pain, pâtisserie et confiserie en magasin spécialisé ; Commerce de détail de boissons en magasin spécialisé ; Autres commerces de détail alimentaires en magasin spécialisé ; Commerce de détail de carburants et combustibles en magasin spécialisé ; boutiques associées à ces commerces pour la vente de denrées alimentaires à emporter, hors produits alcoolisés, et équipements sanitaires ouverts aux usagers de la route ; Commerce de détail d'équipements de l'information et de la communication en magasin spécialisé ; Commerce de détail d'ordinateurs, d'unités périphériques et de logiciels en magasin spécialisé ; Commerce de détail de matériels de télécommunication en magasin spécialisé ; Commerce de détail de matériaux de construction, quincaillerie, peintures et verres en magasin spécialisé ; Commerce de détail de textiles en magasin spécialisé ; Commerce de détail de journaux et papeterie en magasin spécialisé ; Commerce de détail de produits pharmaceutiques en magasin spécialisé ; Commerce de détail d'articles médicaux et orthopédiques en magasin spécialisé ; Commerces de détail d'optique ; Commerces de graines, engrais, animaux de compagnie et aliments pour animaux en magasin spécialisé ; Commerce de détail alimentaire sur éventaires sous réserve, lorsqu'ils sont installés sur un marché, des dispositions de l'article 38 ; Commerce de détail de produits à base de tabac, cigarettes électroniques, matériels et dispositifs de vapotage en magasin spécialisé : Location et location-bail de véhicules automobiles ; Location et location-bail d'autres machines, équipements et biens ; Location et location-bail de machines et équipements agricoles et location-bail de machines et équipements pour la construction ; Réparation d'ordinateurs et de biens personnels et domestiques ; Réparation d'ordinateurs et d'équipements de communication ; Réparation d'ordinateurs et d'équipements périphériques ; Réparation d'équipements de communication ; Blanchisserie-teinturerie de gros ; Blanchisserie-teinturerie de détail : Activités financières et d'assurance ; Commerce de gros. (…) ».
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 2542-2 du code général des collectivités territoriales : « Le maire dirige la police locale. / Il lui appartient de prendre des arrêtés locaux de police en se conformant aux lois existantes». Aux termes de l'article L. 2542-3 : « Les fonctions propres au maire sont de faire jouir les habitants des avantages d'une bonne police, notamment de la propreté, de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité dans les rues, lieux et édifices publics. /Il appartient également au maire de veiller à la tranquillité, à la salubrité et à la sécurité des campagnes. ». Aux termes de l'article L. 2542-4 « Sans préjudice des attributions du représentant de l'Etat (…) Le maire a également le soin : (…) 2° De prévenir par des précautions convenables, et celui de faire cesser par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les calamiteux, tels que les incendies, les épidémies, les épizooties, en provoquant aussi, dans ces deux derniers cas, l'intervention de l'administration supérieure».
5. Par les dispositions citées au point 2, le législateur a institué une police spéciale donnant aux autorités de l'Etat mentionnées aux articles L. 3131-15 L. 3131-17 du code de la santé publique la compétence pour édicter, dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, les mesures générales ou individuelles visant mettre fin à une catastrophe sanitaire telle que l'épidémie de Covid-19, en vue, notamment, d'assurer, compte tenu des données scientifiques disponibles, leur cohérence et leur efficacité sur du territoire concerné ct de les adapter en fonction de l’évolution de la situation.
6. Les articles L. 2542-2 et suivants du code général des collectivités territoriales, applicables notamment dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, autorisent le maire, y compris en période d'état d'urgence sanitaire, à prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques dans sa commune. Le maire peut, le cas échéant, à ce titre, prendre des dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l'Etat, notamment en interdisant, au vu des circonstances locales, l'accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements. En revanche, la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s'appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l'édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l'Etat. Il s'ensuit qu'elle fait également obstacle ce que le maire prenne des mesures de nature à rendre moins rigoureuses celles que les autorités compétentes de l'Etat, dans le cadre de leurs pouvoirs de police spéciale, ont édictées en vue de mettre fin à cette catastrophe sanitaire.
Sur la demande en référé :
7. En l'espèce, par arrêté du 31 Octobre 2020 le maire de Colmar, faisant usage de ses pouvoirs de police administrative générale, a autorisé l'ensemble des commerces non alimentaires de vente au détail de la commune de Colmar à rouvrir à compter du 4 novembre 2020 au motif, d'une part, que la seule limitation des autorisations d’ouverture aux centres commerciaux, supermarchés et hypermarchés aurait pour effet une concentration de la clientèle dans ces établissements de nature favoriser la propagation du virus et d'autre part, qu'une telle situation, préjudiciable aux commerces non alimentaires de vente au détail, serait constitutive d'une rupture d'égalité et d'une concurrence déloyale.
8. Ce faisant, l’arrêté en question méconnait l'article 37 précité du décret du 29 octobre 2020 qui restreint l'accès du public aux seuls établissements proposant des activités considérées comme essentielles, alors même qu'il résulte de ce qui a été dit au point 6, que d'une part le législateur a entendu confier en priorité au Premier ministre, et plus généralement aux autorités compétentes précitées de l'Etat, le soin de prendre, au titre de la police spéciale, les mesures qu'exige la lutte contre l'épidémie de Covid-19 durant le temps de l'état d'urgence sanitaire et que d'autre part cet arrêté municipal, qui aurait notamment pour effet d'étendre les motifs permettant au public de quitter leur domicile, est susceptible de compromettre la cohérence, l'efficacité et la lisibilité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l'Etat.
9. Par ailleurs, les conditions d'une concurrence déloyale entre commerces résultant de la mise en œuvre du décret du 29 octobre 2020 ne sauraient, par elles-mêmes, et en tout état de cause, justifier l'assouplissement des mesures prises par le Premier ministre dans les circonstances de l'espèce liées à l'urgence sanitaire actuelle.
10. Il résulte de tout ce qui précède que moyen tiré de la méconnaissance du décret n° 2010-1310 du 29 octobre 2020 est de nature, en l'état de l'instruction, créer un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué. Par suite, il y a eu lieu de suspendre l'exécution de l'arrêté attaqué.
ORDONNE:
Article 1er : L'exécution de l'arrêté du maire de Colmar du 31 octobre 2020 est suspendue (...) » (TA de Strasbourg, 3 novembre 2020, n° 2006788).
Voir également:
Les rapports entre bailleur et preneur peuvent connaître de tumultueux débats lorsqu’il s’agit de savoir lequel des deux a la charge de certains travaux ou réparations sur le bien loué.
Dans deux décisions des 28 mai et 10 septembre 2020, la troisième chambre de la Cour de cassation vient rappeler qu’à défaut de stipulation expresse contraire dans le bail commercial liant les parties, les réparations locatives ne peuvent être transférées au preneur.
Cass. 3e Civ. 28-05-2020 n°19-10411
Cass. 3e Civ. 10-9-2020 n° 19-10.454
Personne n’ignore qu’en matière de bail commercial, « le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière […] d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée.
En effet, alors que certaines réparations, dites locatives ou de menu entretien demeurent à la charge du preneur, la loi attribue au bailleur la charge des grosses réparations, définies par l’article 606 du code civil comme étant celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières ; celui des digues et des murs de soutènement et de clôture aussi en entier.
Toutefois, ce cadre qui peut sembler clair en l’apparence, est mis à rude épreuve par la liberté contractuelle lorsque le contrat de bail prévoit de mettre à la charge du preneur des travaux relevant initialement des grosses réparations.
Dans deux affaires ayant donné lieu à deux décisions des 28 mai et 10 septembre 2020, la Cour rappelle dans quelles conditions peut-on transférer au preneur la charge de travaux initialement imputables au bailleur.
Dans la première affaire, il était question d’une SCI qui avait donné à bail professionnel à une SCP des locaux à usage de laboratoire d'analyses et de biologie médicale.
Le bail stipulait que « le preneur sera également responsable de toutes réparations normalement à la charge du bailleur, lesquelles seront faites du consentement et sous l'autorité du bailleur mais dont le preneur en supportera la charge financière ».
Après la résiliation du bail, la SCI bailleresse a assigné la SCP locataire en paiement de travaux de remise en état de toiture et zinguerie et de ravalement du mur du parking.
La Cour d’appel avait condamné la SCP locataire auxdits travaux, ayant retenu qu'au regard des engagements pris par elle en application des stipulations de l'article 2 du bail, le tribunal avait à tort écarté ces travaux liés aux problèmes d'infiltration constatés par les huissiers de justice non correctement pris en charge par la société locataire et non à la seule vétusté.
Telle n’a pas été la position de la Cour de cassation qui a considéré qu’en « statuant ainsi, alors que les travaux de réfection de la toiture et de ravalement de la façade, qui ne constituent pas des réparations locatives, incombent, sauf stipulation expresse contraire, au bailleur, la cour d'appel a violé les articles 1134, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et 1720 du code civil selon lesquels le bailleur doit faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que locatives ».
La Cour de cassation vient ici rappeler que le transfert au preneur de la charge de certains travaux incombant en principe au bailleur ne peut avoir lieu qu’en présence d’une stipulation expresse contraire. En d’autres termes, le bail doit expressément prévoir les travaux et réparations mises à la charge du preneur.
Dans la seconde affaire, plus récente, la Cour réitère sa position.
Il était ici question de la réalisation de travaux de mise en conformité aux normes de sécurité incendie sollicitée par la mairie. Devant le refus de prise en charge de ces travaux par la bailleresse, les travaux avaient finalement été réalisés par le locataire.
Mais les travaux réalisés s'étant avérés insuffisants, un arrêté municipal du 14 août 2014 a ordonné la fermeture administrative de l'établissement.
La société locataire ayant été placée en redressement judiciaire, son mandataire judiciaire a assigné le bailleur en remboursement des dépenses effectuées au titre de la mise en conformité électrique et en exécution des travaux nécessaires.
La Cour d’appel avait considéré que le bail mettait expressément à la charge du preneur tous les travaux rendus nécessaires par l'exercice de son activité, au titre desquels sont les travaux de mise en conformité aux normes sanitaires et de sécurité.
La Cour de cassation a cassé l’arrêt au motif qu’aucune stipulation expresse du contrat de bail ne mettait à la charge du preneur les travaux de sécurité prescrits par l’autorité administrative.
D’un point de vue pratique, ces décisions nous rappellent que lorsqu’il est envisagé de déroger au régime de la répartition des dépenses d’entretien entre bailleur et preneur prévu par le code civil, le transfert de la charge de certains travaux au preneur, lesquels sont normalement assumés par le bailleur, ne peut avoir lieu qu’en présence d’une clause expresse.
L’assemblée générale des copropriétaires, organe habilité à modifier le règlement de copropriété, peut reconnaître le caractère non-écrit (c’est-à-dire non conforme) d’une clause du règlement de copropriété et par voie de conséquence faire que celle-ci ne s’applique plus.
Un copropriétaire ou le syndicat des copropriétaires peut, à tout moment, faire constater l’absence de conformité de la clause de répartition des charges, qu’elle résulte du règlement de copropriété, d’un acte modificatif ultérieur ou d’une décision de l’assemblée générale.
Plus besoin de passer devant le Juge pour cela.
Cass. 3e Civ. 10-9-2020 n° 19-17.045 FS-PBI
Tels sont les deux enseignements à tirer de cette affaire dans laquelle une assemblée générale de 2011 contestait, en sa résolution n°5, la légalité de la modification de l’état descriptif de division publiée le 30 mai 1984 aux motifs que la clause de répartition des quotes-parts de parties et des charges n’avait pas été préalablement approuvée par l’assemblée.
Le propriétaire d’un des lots concernés a assigné le syndicat des copropriétaires en annulation de cette résolution. En défense, le syndicat des copropriétaires invoquait l’inopposabilité à son égard de l’acte du 30 mai 1984.
La Cour d’appel a rejeté la demande du syndicat au motif que si la répartition des quotes-parts de parties communes et des charges n’avait pas été soumise à l’assemblée générale, en violation des dispositions impératives de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965, elle ne peut permettre au syndicat de contester, vingt-sept ans après sa publication, l’acte modificatif du 20 mai 1984 qui contient cette répartition.
Pour les juges de la Cour d’appel les actions personnelles dans une copropriété se prescrivent dans un délai de 10 ans et l’imprescriptibilité invoquée par le syndicat ne concerne que les demandes qui tendent à voir réputer non écrite une clause du règlement de copropriété, ce qui ne peut être effectué que par le juge.
Cet arrêt est cassé par la Cour de cassation au visa de l’article 43 de la loi 65-557 du 10 juillet 1965 selon le motif que l’article précité n’interdit pas à l’assemblée générale de reconnaître le caractère non-écrit d’une clause du règlement de copropriété.
Pour mémoire, l’article 43 de la loi susvisée prévoit que « toutes clauses contraires aux dispositions des articles 1er, 1-1, 4, 6 à 37, 41-1 à 42-1 et 46 et celles du décret prises pour leur application sont réputées non écrites. Lorsque le juge, en application de l'alinéa premier du présent article, répute non écrite une clause relative à la répartition des charges, il procède à leur nouvelle répartition. Cette nouvelle répartition prend effet au premier jour de l'exercice comptable suivant la date à laquelle la décision est devenue définitive ».
C’est sur le fondement de cette disposition que la Cour d’appel en a déduit que seul le juge pouvait réputer non-écrite une clause du règlement de copropriété.
Avec cette solution, nouvelle et largement publiée, la cour de cassation répond à la négative en affirmant que le syndicat des copropriétaires n’est plus contraint de saisir le juge pour faire supprimer une clause du règlement de copropriété qui méconnaît les dispositions d’ordre public de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965. L’assemblée générale, compétente pour modifier le règlement de copropriété (cf. article 26b. de la loi 65-557 du 10 juillet 1965), a le pouvoir de déclarer non écrite une clause du règlement de copropriété, à condition toutefois de réunir une majorité suffisante.
Partant, les hauts magistrats précisent que la non-conformité d’une clause aux dispositions de la loi 65-557 du 10 juillet 1065, qui n’est pas soumise au délai de prescription décennale de l’article, peut être relevée à tout moment par l’assemblée générale à l’instar du juge (voir déjà en ce sens : Cass. 3e civ. 7-5-2008 n° 07-13.409 FS-PB).
De même, tout copropriétaire ou le syndicat des copropriétaires peut, à tout moment, faire constater l’absence de conformité aux dispositions de l’article 10, alinéa 1er de la loi du 10 juillet 1965 de la clause de répartition des charges, peu importe que celle-ci résulte du règlement de copropriété, d’un acte modificatif ultérieur ou d’une décision de l’assemblée générale.
Le projet de loi de financement 2021 prévoit une mesure de simplification et d’allègement des charges, certes symbolique, mais bienvenue !
L’article 18 du projet de loi de finances pour 2021 supprime à compter du 1er janvier prochain le caractère obligatoire de l’enregistrement des opérations suivantes :
Le législateur poursuit donc le mouvement de suppressions successives de ces dernières années, qui cible les opérations du droit des sociétés à faible coût (généralement comprises entre 375 et 500 €), afin d’alléger les charges des entreprises et fluidifier l’activité économique.
En outre, les sociétés qui, après la réalisation de l’opération, ont besoin d’un extrait Kbis à jour rapide (notamment pour débloquer les sommes apportées au titre de l’opération pour les augmentations de capital) peuvent se réjouir car si cet article est bien adopté en l’état, il sera désormais possible de procéder aux formalités auprès du greffe du tribunal avant l’exécution de la formalité d’enregistrement, même lorsque celle-ci est obligatoire, ce qui ralentissait jusqu’à présent l’accomplissement des formalités.
Une mesure de simplification et d’allègement des charges certes symbolique mais bienvenue !
En France, les chambres de commerce et d’industrie, qui représentent d’éventuels concurrents, sont présentes dans le process d’autorisation individuelle d’exploitation commerciale, ce qui pourrait ne pas être conforme avec le droit de l’Union. A suivre.
La commission départementale d’aménagement commercial (la « CDAC »), instance départementale qui se prononce sur les autorisations d’exploitation commerciale ; examine les projets de création ou d’extension de magasins de commerce de détail supérieurs à 1 000 m² de surface de vente.
La loi n° 2018-1021 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite « ELAN » a modifié l’article L. 751-2 du code de commerce qui décrit la composition des CDAC : désormais, trois personnalités qualifiées représentant le tissu économique y siègent (une désignée par la chambre de commerce et d’industrie, une désignée par la chambre de métiers et de l’artisanat et une désignée par la chambre d’agriculture) .
Si les dispositions de cet article limitent le rôle de ces personnalités en précisant qu’elles ne prennent pas part au vote mais présentent la situation du tissu économique dans la zone de chalandise et l’impact du projet sur ce tissu économique ; l’adoption de cette nouvelle rédaction pose cependant la question de sa conformité au droit de l’Union européenne.
En effet, l’article 14 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur prévoit :
« Les États membres ne subordonnent pas l’accès à une activité de services ou son exercice sur leur territoire au respect de l’une des exigences suivantes : (...) 6) l’intervention directe ou indirecte d’opérateurs concurrents, y compris au sein d’organes consultatifs, dans l’octroi d’autorisations ou dans l’adoption d’autres décisions des autorités compétentes, à l’exception des ordres et associations professionnels ou autres organisations qui agissent en tant qu’autorité compétente ; cette interdiction ne s’applique ni à la consultation d’organismes tels que les chambres de commerce ou les partenaires sociaux sur des questions autres que des demandes d’autorisation individuelles ni à une consultation du public (...) ».
Le Conseil d’Etat, saisi de cette question récemment, a alors considéré qu’elle présente une difficulté sérieuse et a sursis à statuer, tout en transmettant la question à la Cour de justice de l’Union européenne (la « CJUE »).
Selon la Haute juridiction :
« 6. En vertu de l’article L. 751-1 du code de commerce, les commissions départementales d’aménagement commercial donnent un avis, qui est un avis conforme, sur les demandes d’autorisation d’exploitation commerciale. La réponse au moyen soulevé par les requérants dépend de la question de savoir si le paragraphe 6) de l’article 14 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 doit être interprété en ce sens qu’il permet la présence, au sein d’une instance collégiale compétente pour émettre un avis relatif à la délivrance d’une autorisation d’exploitation commerciale, de personnalités qualifiées représentant le tissu économique, dont le rôle se borne à présenter la situation du tissu économique dans la zone de chalandise pertinente et l’impact du projet sur ce tissu économique, sans prendre part au vote sur la demande d’autorisation. Cette question, qui est déterminante pour l’issue du litige, s’agissant de la légalité des articles 1er à 3 du décret du 17 avril 2019, présente une difficulté sérieuse. Il y a lieu, par suite, d’en saisir la Cour de justice de l’Union européenne en application de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et, jusqu’à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer sur la requête n° 431724, en tant qu’elle tend à l’annulation des articles 1er à 3 du décret attaqué » (CE, 15 juillet 2020, n° 431703).
La position de la CJUE est très attendue sur la légalité de la nouvelle législation française.
Il n’est pas exclu que la CJUE juge illégale cette disposition, en considérant que cette présence constitue une intervention indirecte d’une chambre de commerce sur une demande d’autorisation individuelle, ce qui est interdit par le point 6 de l’article 14 de la directive du 12 décembre 2006 susvisée.
Rappelons en effet que la seule présence du rapporteur public, anciennement commissaire du gouvernement, au délibéré dans les juridictions administratives du premier et second degré a été jugée contraire, par la Cour européenne des droits de l’Homme, au droit à un procès équitable, garanti par l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
C’est ainsi qu’à la suite des arrêts Kress (CEDH 7 juin 2001, Kress c. France, n° 39594/98) et Martinie (CEDH, Grande chambre, 12 avril 2006, Martinie c. France, n° 58675/00), le décret n° 2006-964 du 1er août 2006 modifiant la partie réglementaire du code de justice administrative que le commissaire a supprimé la présence du commissaire du Gouvernement au délibéré dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel. De surcroît, au Conseil d’Etat, les parties peuvent demander qu’il n’y assiste pas.
Le parallèle avec la présence d’une chambre de commerce dans une commission examinant une demande d’autorisation individuelle ne peut donc qu’être soulevé : cette présence permet-elle de garantir un examen équitable de la demande d’autorisation ?
C’est au fond cette question que tranchera la justice européenne.
Le Conseil d’Etat considère que le préfet peut élargir les zones concernées par l’obligation du port du masque, compte-tenu de la nécessité de préserver l’effectivité des mesures prises. Il introduit ainsi un nouveau critère d’appréciation de ces mesures de police, à savoir l’exigence de simplicité et de lisibilité à l’égard de leurs destinataires.
Le contentieux des mesures de police ne va cesser de s’accroître en cette période particulière liée au covid-19.
Par deux ordonnances en date du 6 septembre 2020, n° 443750 et 443751, le juge des référés du Conseil d’Etat a précisé les conditions dans lesquelles les préfets peuvent intervenir dans le cadre de la réglementation du port du masque, en faisant dépendre l’appréciation du caractère proportionné d’une telle mesure de police à sa simplicité et à sa lisibilité.
Dans ces affaires, le juge des référés devait se prononcer sur deux arrêtés pris par les préfets du Bas-Rhin et du Rhône en date des 28 et 31 août 2020 qui imposaient le port du masque sur la voie publique et dans l’ensemble des lieux ouverts au public, sur le territoire de plusieurs communes.
En première instance, les juges des référés des tribunaux administratifs de Strasbourg et de Lyon avaient considéré que ces mesures générales et absolues portaient une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et de venir et au droit de chacun au respect de sa liberté personnelle.
Il avait ainsi été enjoint aux préfets d’édicter de nouveaux arrêtés en excluant de l’obligation du port du masque les lieux des communes et les périodes horaires qui ne sont pas caractérisés par une forte densité de population ou par des circonstances locales susceptibles de favoriser la propagation du virus.
Le juge des référés du Conseil d’Etat, saisi par le ministre des solidarités et de la santé, a considéré que :
« 10. Le caractère proportionné d'une mesure de police s'apprécie nécessairement en tenant compte de ses conséquences pour les personnes concernées et de son caractère approprié pour atteindre le but d'intérêt général poursuivi. Sa simplicité et sa lisibilité, nécessaires à sa bonne connaissance et à sa correcte application par les personnes auxquelles elle s'adresse, sont un élément de son effectivité qui doivent, à ce titre, être prises en considération. Il en résulte que le préfet, lorsqu'il détermine les lieux dans lesquels il rend obligatoire le port du masque, est en droit de délimiter des zones suffisamment larges pour englober de façon cohérente les points du territoire caractérisés par une forte densité de personnes ou une difficulté à assurer le respect de la distance physique, de sorte que les personnes qui s'y rendent puissent avoir aisément connaissance de la règle applicable et ne soient pas incitées à enlever puis remettre leur masque à plusieurs reprises au cours d'une même sortie. Il peut, de même, définir les horaires d'application de cette règle de façon uniforme dans l'ensemble d'une même commune, voire d'un même département, en considération des risques encourus dans les différentes zones couvertes par la mesure qu'il adopte. Il doit, toutefois, tenir compte de la contrainte que représente, même si elle reste mesurée, le port d'un masque par les habitants des communes concernées, qui doivent également respecter cette obligation dans les transports en commun et, le plus souvent, dans leur établissement scolaire ou universitaire ou sur leur lieu de travail. »
Il en résulte que lorsque le préfet réglemente le port du masque sur son territoire, il est en droit de délimiter des zones suffisamment larges, pour englober de façon cohérente les lieux caractérisés par une forte densité de personnes ou une difficulté à assurer le respect de la distance physique, et ce afin que les personnes qui s’y rendent puissent avoir aisément connaissance de la règle applicable, et qu’en particulier, elles ne soient pas incitées à enlever et remettre leur masque à plusieurs reprises.
Le juge des référés suit en ce sens le raisonnement qui était soumis par le ministre de la solidarité et de la santé, selon lequel les injonctions imposées en première instance étaient de nature à remettre en cause l’effectivité des normes de police édictées, dès lors qu’il aurait été nécessaire de réglementer le port du masque à seulement certains lieux d’une même commune.
C’est donc dans un souci de clarté et de « lisibilité » que le juge des référés du Conseil d’Etat a réformé les ordonnances rendues en tant qu’elles ne prenaient pas en compte ces critères, et a fixé de nouvelles injonctions aux préfets.
L’article 3 de l’ordonnance n° 2020-318 du 25 mars 2020 permet aux personnes morales de droit privé de différer de trois mois maximum leurs assemblées générales d’approbation des comptes[1].
Ainsi, les entités ayant clôturé leurs comptes au 31 décembre 2019 ne disposent plus que de quelques semaines pour préparer le juridique de leurs assemblées générales et procéder aux convocations de leurs membres, pour une réunion au plus tard au 30 septembre 2020.
Pour celles qui ne seraient pas prêtes à cette date, le dépôt d’une requête motivée au tribunal compétent avant le 30 septembre pourrait toujours leur permettre d’obtenir un délai supplémentaire, dans les conditions du droit commun.
Le Cabinet est mobilisé à vos côtés pour vous assister dans ces démarches.
[1] sauf à ce que le commissaire aux comptes désigné ait déjà rendu son rapport au 12 mars 2020
Déjà en 2017, dans une affaire relative à la possibilité de contester un permis de construire qui, en l’espèce, ne valait pas autorisation commerciale car il portait sur une surface de vente de moins de 1000 m², le Conseil d’Etat, après avoir rappelé que l’article L. 600-1-4 de l’urbanisme ne s’appliquait pas en l’espèce, a jugé :
« 6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré par les sociétés requérantes, à l'appui de leur pourvoi en cassation, de ce que l'article L. 600-1-4 du code de l'urbanisme porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, doit être regardé comme non sérieux » (CE, 21 juin 2017, n° 409301).
Le Conseil d’Etat a alors refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions de l'article L. 600-1-4 du code de l'urbanisme.
S’agissant des surfaces de vente de plus de 1 000 m², la conformité à la constitution de l’article L. 600-1-4 du code de l’urbanisme a été examinée récemment, par la cour administrative d’appel de Marseille.
Dans cet arrêt récent, en date du 17 octobre 2019, la cour administrative d’appel de Marseille a examiné la question prioritaire de constitutionnalité qui lui était soumise, s’agissant de l'article L. 600-1-4 du code de l'urbanisme.
Selon elle,
« Sur l'article L. 600-1-4 du code de l'urbanisme :
[…] 9. La société A2H, qui reprend en partie l'argumentation développée sur l'article L. 752-17 du code de commerce, fait valoir que ces dispositions instituent deux régimes juridiques qui aboutissent à une rupture du principe d'égalité. Toutefois, ainsi que relevé au point 3, les dispositions de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme autorisent, en particulier à un professionnel, à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code dès l'instant où la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient. Par ailleurs, et selon les termes de l'article L. 752-17 précité, tout professionnel dont l'activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise définie pour chaque projet, qui est susceptible d'être affectée par le projet peut, dans le délai d'un mois, introduire un recours devant la Commission nationale d'aménagement commercial contre l'avis de la commission départementale d'aménagement commercial. Dès lors, la société ne peut invoquer utilement la méconnaissance de la rupture d'égalité devant la loi ou la justice. En tout état de cause, le droit à un procès équitable et l'accès à l'ensemble des degrés de juridiction ne sont pas méconnus par ces dispositions» (CAA Marseille, 17 octobre 2019, n° 19MA03634 QPC).
Cette cour considère qu’un commerçant peut :
D’une part, l’article L. 600-1-4 règle la recevabilité du recours contre un permis de construire en tant qu’il vaut exploitation commerciale : n’ont intérêt à agir que les commerçants puisqu’ils sont ceux affectés par l’autorisation d’exploitation commerciale.
D’autre part, l’article L. 600-1-2 règle la recevabilité du recours contre un permis de construire sous l’angle du droit de l’urbanisme : n’ont intérêt à agir que les personnes affectées par la construction, qu’ils soient commerçants ou non.
Il résulte pour le juge une absence de rupture d’égalité devant la loi pour le commerçant. En effet, en théorie, les préjudices commerciaux et urbanistiques font l’objet d’une séparation stricte, même si en pratique un projet de construction à destination commerciale est susceptible d’engendrer un préjudice commercial sur toute la zone de chalandise correspondante...
La question pourrait également se poser s’agissant de la conformité à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (ci-après, « CESDH ») de cette limitation du droit au recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire.
A cet égard, même si la Cour européenne des droits de l’homme ne s’est pas prononcée sur ce point précis, elle a déjà reconnu que le principe de sécurité juridique pouvait légitimement permettre aux Etats de restreindre le droit au recours.
Dans un arrêt en date du 25 avril 2000, la Cour européenne a ainsi considéré que « la réglementation relative aux formalités et aux délais à respecter pour former un recours vise à assurer la bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique » (CEDH, 25 avril 2000, Miragall Escolano et a. contre Espagne, n° 38366/97).
Depuis la promulgation de loi d’urgence du 23 mars 2020 pour faire face à l'épidémie de covid-19, rares sont les semaines qui n’apportent leur lot de nouvelles ordonnances.
L’activité frénétique du législateur est particulièrement marquée en matière immobilière, comme le prouve, une nouvelle fois, l'ordonnance n° 2020-539 du 7 mai 2020 qui complète et précise les trois précédentes ordonnances relatives à la prorogation des délais échus en matière d’urbanisme.
Afin d’« éviter qu’une reprise des délais trop tardive ne constitue un frein important à la continuité de l’activité des secteurs du BTP et de l’immobilier », selon les mots de la Ministre de la Cohésion des territoires, ladite ordonnance prévoit que reprendront leur cours dès le 24 mai, nonobstant la prolongation de l’état d’urgence, les délais :
1/ d’instruction des demandes d’autorisation d’urbanisme,
2/ ceux « impartis à l'administration pour vérifier le caractère complet d'un dossier ou pour solliciter des pièces complémentaires »,
3/ ceux relatifs aux retraits des autorisations d’urbanisme,
4/ ceux relatifs à l’exercice du droit de préemption
5/ et, enfin, ceux applicables aux recours suspendus.
En d’autres termes, les délais applicables à certains recours, dont les recours contre des permis de construire, ne recommencent à courir à compter du 24 mai 2020 que pour la durée qui restait à courir le 12 mars 2020, « sans que cette durée puisse être inférieure à sept jours ».
Exit donc le blocage de la purge provoqué par la prorogation initialement prévue qui permettait un redémarrage à zéro des délais de recours contre les permis de construire au bout de 3 mois et 13 jours à compter du 12 mars.
Enfin, une nouvelle fois, « le point de départ des délais de même nature qui auraient dû commencer à courir pendant la période comprise entre le 12 mars et le 23 mai 2020 est reporté à l’achèvement de celle-ci ».
A noter que cette dérogation s’applique également « aux recours formés à l'encontre des agréments prévus à l'article L. 510-1 du code de l'urbanisme lorsqu'ils portent sur un projet soumis à autorisation d'urbanisme ainsi qu'aux recours administratifs préalables obligatoires dirigés contre les avis rendus par les commissions départementales d'aménagement commercial ».
Cette volonté de ne pas paralyser la reprise des opérations de construction et d’aménagement se trouve par ailleurs renforcée en matière d’infrastructures de télécommunications. Ainsi, le décret n° 2020-536 du 7 mai 2020 prévoit que « reprennent leur cours à la date d'entrée en vigueur du présent décret [soit le 9 mai] les délais concernant […] les décisions, accords ou avis des organismes ou personnes […] qui sont délivrés en vue de la construction, de l'installation, de l'aménagement et des travaux concernant les infrastructures de communications électroniques, […] ».
« (…) 3. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 521-1 du code de justice administrative: « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ». Aux termes de l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme : « Un recours dirigé contre une décision de non-opposition à déclaration préalable ou contre un permis de construire, d'aménager ou de démolir ne peut être assorti d'une requête en référé suspension que jusqu'à l'expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort. La condition d'urgence prévue à l'article L. 521-1 du code de justice administrative est présumée satisfaite. ... ». Aux termes de l’article R. 600-5 du même code : « Par dérogation à l'article R. 611-7-1 du code de justice administrative, et sans préjudice de l'application de l'article R. 613-1 du même code, lorsque la juridiction est saisie d'une requête relative à une décision d'occupation ou d'utilisation du sol régie par le présent code, ou d'une demande tendant à l'annulation ou à la réformation d'une décision juridictionnelle concernant une telle décision, les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense… ».
4. Il résulte de la combinaison des dispositions précitées que si, lorsqu’un recours dirigé contre un permis de construire est assorti d’une requête en référé suspension déposée avant l'expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort, la condition d'urgence prévue à l'article L. 521-1 du code de justice administrative est présumée satisfaite, il peut toutefois en aller autrement dans le cas où le pétitionnaire ou l’autorité qui a délivré l’autorisation justifient de circonstances particulières de nature à remettre en cause la présomption d’urgence ainsi instituée par la loi. Il appartient alors au juge des référés de procéder à une appréciation globale de l’ensemble des circonstances de l’espèce qui lui est soumise
5. Le recours dirigé contre les décisions en litige ayant été assorti d’une requête en référé suspension déposée avant l'expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le tribunal, la condition d'urgence est présumée satisfaite. Toutefois, pour renverser la présomption d’urgence, la défense fait valoir, sans être contredite, que les travaux n’ont pas encore commencé et n’ont pas vocation à débuter dans un avenir proche compte tenu, notamment, des contraintes résultant de la période d’état d’urgence sanitaire dans laquelle se trouve la Nation en application des dispositions de l'article 4 de la loi du 23 mars 2020. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l’instruction que la situation présente un caractère d’urgence au sens de l'article L. 521-1 du code de justice administrative. (…) » (TA de Marseille, ord., 8 avril 2020, n° 2002464).
L’article L. 600-3 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dispose qu’ « Un recours dirigé contre une décision de non-opposition à déclaration préalable ou contre un permis de construire, d'aménager ou de démolir ne peut être assorti d'une requête en référé suspension que jusqu'à l'expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort. La condition d'urgence prévue à l'article L. 521-1 du code de justice administrative est présumée satisfaite (…) ».
Proposée par le rapport intitulé « Propositions pour un contentieux des autorisations d'urbanisme plus rapide et plus efficace », présenté par le groupe de travail présidé par Christine Maugüé au ministre de la cohésion des territoires le 11 janvier 2018, la présomption d’urgence, combinée à la limitation dans le temps du référé-suspension, a pour but de faciliter une prise de position rapide du juge sur la légalité du projet.
Comme le relève ce rapport, « Les bénéficiaires d’autorisations sont assez favorables à ce que le juge se prononce rapidement, même de façon provisoire, sur la légalité de leur permis de construire, d’aménager ou de démolir. Ils ont en effet tout intérêt à connaître avec précision les risques qui pèsent sur leur autorisation pour pouvoir, le cas échéant, régulariser leur situation en sollicitant par exemple un permis de construire modificatif ».
Cela étant, et à la différence par exemple de référés-suspension spéciaux où la condition d’urgence est absente (référé-suspension formé par le représentant de l’Etat prévu à l’article L. 554-1 du code de justice administrative, référé-suspensions formé contre une décision prise en l’absence d’étude d’impact ou après des conclusions défavorables du commissaire enquêteur prévus aux articles L. 554-11 et L. 554-12 du code de justice administrative), l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme maintient la condition d’urgence ; celle-ci fait l’objet d’une présomption simple, pouvant être renversée.
L’ordonnance rendue le 8 avril 2020 par le tribunal administratif de Marseille en donne un exemple, en appréciant l’urgence in concreto en fonction de l’échéance de mise en œuvre du projet. Le tribunal retient qu’en l’espèce, les travaux n’ont pas vocation à débuter dans un avenir proche compte tenu, notamment, des contraintes liées à la déclaration d’un état d’urgence sanitaire.
La référence au commencement des travaux renvoie aux critères classiques d’appréciation de la condition d’urgence, selon lesquels celle-ci est en principe constatée lorsque les travaux vont commencer ou ont déjà commencé sans être pour autant achevés (CE, 15 juin 2007, n° 300208, CE, 9 novembre 2018, n° 415851). L’ordonnance illustre la nature des éléments permettant le renversement de cette présomption (en l’occurrence des contraintes matérielles différant le commencement des travaux).
Dès lors que l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme a seulement modifié la charge de la preuve, ce texte ne satisfait sans doute pas totalement l’intérêt qui s’attache pour les bénéficiaires d’autorisations à « connaître avec précision les risques qui pèsent sur leur autorisation pour pouvoir, le cas échéant, régulariser leur situation en sollicitant par exemple un permis de construire modificatif », ni par conséquent l'intérêt public qui s'attache à faciliter la construction de nouveaux logements, sauf à ce que les critères d’appréciation de l’urgence évoluent également.
Le recours entre constructeurs ou entre un constructeur et son sous-traitant relèvent de la prescription quinquennale de droit commun de l'article 2224 du code civil.
Une telle action, qui peut être de nature contractuelle ou quasi-délictuelle (si les constructeurs ne sont pas contractuellement liés), ne peut en aucun cas être fondée sur la garantie décennale.
En effet, selon la Cour de cassation, « le délai de la prescription de ce recours et son point de départ ne relèvent pas des dispositions de l’article 1792-4-3 du code civil [puisque] ce texte, créé par la loi du 17 juin 2008 et figurant dans une section du code civil relative aux devis et marchés et insérée dans un chapitre consacré aux contrats de louage d’ouvrage et d’industrie, n’a vocation à s’appliquer qu’aux actions en responsabilité dirigées par le maître de l’ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous-traitants » (3ème civ., 16 janvier 2020, n° 18-25.915).
Partant, le délai de prescription du recours d’un constructeur contre un autre constructeur court à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
A ce titre, il est de jurisprudence constante que « l’assignation en référé-expertise délivrée par le maître de l’ouvrage à l’entrepreneur principal met en cause la responsabilité de ce dernier et constitue le point de départ du délai de son action récursoire à l’encontre des sous-traitants » (3ème Civ., 19 mai 2016, pourvoi n° 15-11.355).
Qu’en est-il, cependant, de l’interruption et de la suspension des délais de prescription provoquées par la demande puis le prononcé en référé d’une telle mesure d’expertise in futurum ? Ces interruption et suspension, prévues aux articles 2241 et 2239 du Code civil, bénéficient-t-elles à l’ensemble des parties prenante à la construction ou au seul demandeur de la mesure ?
Par deux arrêts rendus au cours de l’année 2019, les Hauts conseillers ont entrepris de réduire drastiquement les portées de l’interruption et de la suspension du délai de prescription en décidant, d’une part, qu’elles n’ont aucun effet erga omnes et ne peuvent donc bénéficier qu’au seul demandeur de la mesure d’expertise (2ème civ., 31 janvier 2019, n° 18-10.011) et, d’autre part, qu’elles ne s’appliquent qu’aux seules mesure d’instruction in futurum poursuivant le même « but » que la demande au fond (3ème civ., 17 octobre 2019, n° 18-19.611).
Par un arrêt récent du 19 mars 2020, les conseillers de la 3ème chambre civile ont encore restreint le champ d’application des articles 2239 et 2241 du Code civil.
En l’espèce, une société avait, en sa qualité de maître de l’ouvrage, confié à une autre société la réalisation de divers travaux de voiries et de réseaux au sein de la propriété des maîtres d’œuvre.
Ces derniers, se plaignant de retards et de désordres, assignèrent en référé les constructeurs aux fins de désignation d’un expert sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile.
Une fois le rapport de ce dernier déposé, les maîtres d’œuvre conclurent une transaction d’indemnisation avec la société maître de l’ouvrage qui assigna, à son tour, la société sous-traitante en indemnisation.
Cette dernière, condamnée en appel, forma un pourvoi en cassation arguant du caractère tardif de son assignation, plus de 5 années s’étant écoulés depuis le prononcé de la mesure d’instruction par le juge.
Il va de soi que la garantie décennale ne pouvait trouver application dans la mesure ou aucune réception de l’ouvrage n’était intervenue.
Après avoir rappelé que la demande d’expertise et son accueil avaient interrompu puis suspendu le délai de prescription, les conseillers de la 3ème chambre civile firent néanmoins droit aux demandes du sous-traitant en rappelant que ces effets ne pouvaient profiter qu’aux seuls demandeurs à la mesure, en l’occurrence les maitres d’œuvre :
« 14. En statuant ainsi, alors que l’interruption, puis la suspension de la prescription quinquennale de l’action en responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur quant aux désordres révélés en l’absence de réception de l’ouvrage n’avaient pas profité à la société B, l’instance en référé ayant été introduite par les consorts X..., la cour d’appel a violé les textes susvisés. »
Une nouvelle fois, la Cour de cassation se montre extrêmement ferme quant à la possibilité, pour un tiers à la demande d’instruction in futurum, de se prévaloir des interruption et suspension du délai de prescription prévues par la loi.
Une telle solution nous paraît néanmoins critiquable dans la mesure ou le point de départ du délai de prescription demeure, pour les constructeurs, celui de l’assignation en référé-expertise avant procès.
En effet, à cet instant, les constructeurs ne peuvent connaître avec certitude ni la réalité des dommages ni l’étendue de leur responsabilité, ce que seul le rapport d’expertise permettra d’établir. Ce n’est qu’après la remise de ce dernier que les constructeurs peuvent actionner utilement les recours qui leurs sont offerts, ce qui rend opportun, de lege ferenda, l’admission de l’interruption puis de la suspension du délai de prescription à leur égard.
En tout état de cause, on ne saurait mieux conseiller les constructeurs en leur prescrivant de se joindre à toute demande de référé-expertise formulée par un maître d’œuvre avant procès, afin de s’assurer du bénéfice des effets interruptif et suspensif de prescription.
Dans un précédent article nous avions détaillé l’ensemble des mesures dérogatoires prises par le gouvernement pour faire face aux conséquences de l’épidémie de COVID-19 en matière immobilière (voir ci-dessous : « Etat d’urgence sanitaire : tour d’horizon des mesures dérogatoires en droit immobilier »).
Certaines de ces règles ont récemment été modifiées et complétées par les ordonnances n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais et n° 2020-460 du 22 avril 2020 portant diverses mesures prises pour faire face à l'épidémie de covid-19.
Ces modifications concernent le régime de la copropriété, les délais en matière d’autorisations d’urbanisme et, indirectement, les délais en matière de contrats immobiliers.
En matière de copropriété
L’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 apporte des précisions et modifications concernant le renouvellement du contrat syndic ainsi que le mandat du conseil syndical.
1/ Concernant le contrat de syndic, la période devant être prise en compte pour permettre son renouvellement automatique en cas d’expiration de celui-ci est augmentée d’un mois et se trouve comprise « entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délais de deux mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire ».
Par ailleurs, l’assemblée générale des copropriétaires dispose désormais de huit mois à partir de la fin du confinement pour se réunir et désigner le nouveau syndic au lieu des six mois précédemment accordés.
Enfin, des précisions sont apportées quant à la rémunération forfaitaire du syndic qui doit être « déterminée selon les termes du contrat qui expire ou a expiré, au prorata de la durée de son renouvellement […] ».
2/ Concernant le mandat du conseil syndical, un article 22-1 est créé au sein de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 et dispose que « par dérogation aux dispositions de […] la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, le mandat confié par décision de l'assemblée générale aux membres du conseil syndical, qui expire ou a expiré entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la date de la cessation de l'état d'urgence sanitaire […], est renouvelé jusqu'à la tenue de la prochaine assemblée générale des copropriétaires. Cette assemblée générale intervient au plus tard huit mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire […] ».
Attention toutefois : « les dispositions du précédent alinéa ne sont pas applicables lorsque l'assemblée générale des copropriétaires a désigné les membres du conseil syndical avant la publication de la présente ordonnance ».
En matière d’autorisations d’urbanisme
Le gouvernement semble avoir entendu les inquiétudes des professionnels de l’immobilier concernant la durée de la suspension des délais d’instruction et l’interruption des délais de recours édictées par l’ordonnance n° 2020-306 du 26 mars 2020.
L’ordonnance du 15 avril revient donc sur ces points en proposant les deux modifications substantielles suivantes :
1/ La suppression du mois supplémentaire suivant l’état d’urgence sanitaire pour déterminer la période juridique protégée : celle-ci correspond donc désormais à la seule période de l’état d’urgence sanitaire réduisant ainsi la durée de la suspension des autorisations d’urbanisme (soit deux mois au lieu des trois mois précédemment prévus) ;
2/ La suspension des délais de recours à compter du 12 mars en lieu et place de leur interruption (du fait de la prorogation de la validité des autorisations d’urbanisme précédemment décidée). Ces derniers recommenceront donc à courir à la fin de l’état d’urgence sanitaire pour la durée restante au 12 mars, « sans que cette durée puisse être inférieure à sept jours ».
A noter, cependant, que, dans les deux cas, « le point de départ des délais de même nature qui auraient dû commencer à courir durant la période comprise entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l'urgence sanitaire est reporté à l'achèvement de celle-ci ».
En matière contractuelle
Aucun texte ne dispense les parties à un contrat de leurs obligations en raison de la crise et les ordonnances susmentionnées n’influent sur les contrats immobiliers qu’à la marge (en ce qui concerne toutefois le cas particulier des baux commerciaux et professionnels, lire ci-dessous notre précédent article : « Covid-19 : mesures concernant le paiement des loyers et charges des baux commerciaux et baux professionnels »).
En effet, en matière de délais, seuls ceux « prescrits par la loi ou le règlement » sont concernés par la suspension pendant la durée de la période d’état d’urgence sanitaire. A contrario, l’article exclut les obligations contractuelles.
Néanmoins, il est important de souligner que l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 modifiée par l’ordonnance du 15 avril 2020 prévoit désormais expressément que cette suspension des délais n’est « pas applicable aux délais de réflexion, de rétractation ou de renonciation prévus par la loi ou le règlement, ni aux délais prévus pour le remboursement de sommes d’argent en cas d’exercice de ces droits ».
Une telle disposition nous semble critiquable dans la mesure où elle remet en cause l’interprétation selon laquelle les délais de rétractation et de renonciation accordés par la loi et le règlement se trouvaient suspendus par l’effet de ces dispositions.
Ainsi par exemple, en matière de vente immobilière, il était raisonnable en l’absence de précision, de considérer que de tels délais étaient compris dans ceux « prescrits par la loi ou le règlement ».
Dès lors, les parties ayant imaginé pouvoir bénéficier de la suspension du délai de rétractation en matière immobilière (article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation) ou du délai de réflexion en matière de crédit immobilier (article L. 313-34 du Code de la consommation) en seront pour leurs frais : le caractère interprétatif des modifications apportées leur confère un caractère rétroactif.
Cependant, afin de protéger les débiteurs défaillants pendant cette période de crise, l’article 4 de l’ordonnance susmentionnée suspend le cours de certaines clauses sanctionnant l’inexécution. Ainsi, les obligations contractuelles demeurent intactes tandis que les stipulations sanctionnant le retard ou l’inexécution de la prestation dans les délais se trouvent paralysées selon certaines conditions. Il s’agit principalement des clauses pénales, clauses résolutoires et clauses prévoyant une déchéance.
Les contrats de ventes immobilières ou de baux d’habitation sont donc concernés par cette mesure dès l’instant où les parties ont entendu se soumettre à ce type de clauses.
COVID-19 et entreprises en difficultés : les procédures collectives à l’heure de l’état d’urgence sanitaire
Les mesures prises pour endiguer l’épidémie de COVID-19 impactent d’ores-et-déjà durement les entreprises et risquent d’avoir, à court terme, des conséquences funestes sur l’économie mondiale. Ainsi, selon certains experts, les défaillances d’entreprises vont connaitre une hausse spectaculaire de près de 25% dans les mois à venir, quand bien même l’activité économique redémarrerait graduellement (source : coface.fr).
C’est dans ce contexte que le gouvernement, habilité par la loi d’urgence n° 2020-290 du 23 mars 2020, a pris, le 27 mars 2020, l’ordonnance n° 2020-341 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l’urgence sanitaire et modifiant certaines dispositions de procédure pénale.
L’objectif de l’ordonnance est d’anticiper les difficultés des entreprises en adaptant le cadre légal des procédures collectives aux conséquences de la crise sanitaire.
Ces règles dérogatoires visent la fixation dans le temps de l’état de cessation des paiements mais aussi l’adaptation des contraintes chronologiques des procédures :
S’agissant de l’état de cessation des paiements, les articles 1 et 3 de l’ordonnance précitée fixent au 12 mars 2020 l’appréciation de la situation des entreprises ou des exploitations agricoles. Cette date correspond peu ou prou à la date de survenance de la crise.
Ce gel de leurs situations permet aux entreprises de pouvoir bénéficier des mesures ou procédures préventives même si elles connaissaient une aggravation de leur situation provoquant la cessation des paiements postérieurement au 12 mars, et ce pendant toute la période d’état d’urgence sanitaire majorée de trois mois.
Cette disposition vise principalement les procédures de conciliation et les procédures de sauvegarde.
En matière de sauvegarde, seul le débiteur peut demander, du fait de l’aggravation de la situation de l’entreprise, l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire, de liquidation judiciaire ou le bénéfice d’un rétablissement professionnel.
Comme le précise le rapport au Président de la République de la présente ordonnance : « la fixation au 12 mars 2020 de la date de l’appréciation de l’état de cessation des paiements ne peut être conçue que dans l’intérêt du débiteur, ce qui évite, en outre, qu’il ne s’expose à des sanctions personnelles pour avoir déclaré tardivement cet état. Toutefois, il convient de réserver les possibilités de fraude aux droits des créanciers, tant de la part du débiteur que d’autres créanciers, ce qui justifie également l’application des dispositions de l’article L. 631-8 du code de commerce, relatif aux nullités de la période suspecte ».
Afin que les troubles nés de la période d’urgence sanitaire ne mettent en péril la recherche de solutions préventives ou la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde ou de redressement, les dispositions de l’article 1er de l’ordonnance « assouplissent les contraintes de temps imposées par les dispositions relatives à la conciliation, d’une part, et à l’exécution d’un plan de sauvegarde ou de redressement, d’autre part ».
a/ En ce qui concerne, d’abord, la procédure de conciliation, outre une série de mesures plus générales simplifiant la procédure d’ouverture en évitant au débiteur de comparaître devant le tribunal, l’alinéa 1er du II de l’article 1er dispose que la durée de la conciliation est prolongée de plein droit de trois mois après la date de cessation de l’état d’urgence. De plus, l’alinéa 2 du II de l’article 1er précité permet, en outre, de reprendre les négociations sans attendre, en cas d’échec d’une première recherche d’accord, pendant toute la durée de l’état d’urgence sanitaire.
b/ En ce qui concerne, ensuite, la période d’observation, le 1° du II de l’article 2 de l’ordonnance tire également les conséquences de l’impossibilité de respecter certains délais prévus par le livre VI du code de commerce. Il prolonge ainsi, de plein droit et sans qu’il soit nécessaire de tenir une audience ou de rendre un jugement la durée de la période d’observation jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la date de fin de l’état d’urgence, et pour une durée équivalente à celle-ci, plus un mois.
A noter également, conformément au 1° du I de l’article 2 de l’ordonnance, que « pendant la durée correspondant à l’état d’urgence, prolongée d’un mois, il n’apparaît pas justifié de tenir systématiquement une audience intermédiaire pour s’assurer de la possibilité, pour l’entreprise, de maintenir son activité pendant la période d’observation du redressement judiciaire.[...] Cette adaptation ne fait pas obstacle à ce que le tribunal puisse, le cas échéant, être saisi d’une demande de conversion de la procédure ».
c/ En ce qui concerne, également, la durée des plans, plusieurs niveaux de prolongations sont prévus :
Premièrement, le débiteur peut bénéficier d’une prolongation de plein droit du plan de redressement de son entreprise.
En effet, l’article 2, II, de l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 prévoit une prolongation de plein droit, hors processeurs judiciaire, des durées « relatives à la période d'observation, au plan, au maintien de l'activité, et à la durée de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée ».
Cette prolongation vaut jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la date de fin de l’état d’urgence sanitaire, et sera d’une durée équivalente à celle de la période de l’état d’urgence sanitaire augmentée d’un mois.
Par exemple, si la période de crise sanitaire se conforme à sa durée initiale, soit 2 mois, le report sera de 3 mois à compter du 24 juin (24 mars + 2 mois d’état d’urgence + 1 mois prévu au I de l’article susmentionné) et prendra donc fin le 24 septembre prochain (3 mois supplémentaires).
Deuxièmement, le débiteur peut également espérer bénéficier d’une prolongation sur requête du plan de redressement de son entreprise.
En effet, des délais supplémentaires sont prévus mais ne peuvent être accordés que sur requête. L’initiative appartient toutefois au commissaire à l’exécution du plan et/ou au ministère public :
Toutefois, comme le précise le rapport au Président de la République, « ces prolongations de la durée du plan sont possibles sans devoir respecter la procédure contraignante d’une modification substantielle du plan initialement arrêté par le tribunal, laquelle reste par ailleurs envisageable ».
d/ En ce qui concerne, enfin, la prolongation des délais de couverture des créances salariales, le 2° du I de l’article 1er de l’ordonnance permet, pendant la période d’état d’urgence sanitaire majorée de trois mois, « une prise en charge accélérée par l’association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS) ».
Si le représentant des salariés et le juge-commissaire ne sont pas écartés, il est toutefois permis, sans attendre leur intervention, au mandataire judiciaire de transmettre à l’AGS les relevés de créances salariales qui permettront à cette dernière de déclencher le versement des sommes correspondantes.
Qui plus est, comme le souligne le rapport au Président de la République, il est « impossible, par exemple, de procéder à la rupture des contrats de travail dans le délai de quinze jours à compter du jugement d’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire. Or, le non- respect de ce délai est une cause de refus de prise en charge par l’AGS. La prolongation du délai accordé au mandataire de justice n’aurait pas de sens si les limites de la garantie de l’AGS n’étaient pas adaptées ».
Raison pour laquelle les délais de couverture des créances salariales par l’AGS visés à l’article L. 3253-8 du code du travail sont prolongés jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la date de fin de l’état d’urgence et pour une durée équivalente à cette période, plus un mois.
Les droits fondamentaux protégés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales sont fréquemment invoqués afin de justifier une atteinte au droit de propriété pourtant considéré, aux termes de l’article 544 du Code civil, comme « le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».
Ainsi, que ce soit en matière d’occupation sans droit ni titre, en matière d’expropriation ou encore en matière d’empiètement, les droits fondamentaux protégés par la Convention sont régulièrement soulevés par les requérants qui entendent échapper à une procédure d’expulsion, d’expropriation ou de démolition.
Il s’agit alors de démontrer que l’atteinte portée au droit de propriété est proportionnée en raison de considérations tenant à la protection d’un autre droit fondamental tel que, par exemple, le droit à la vie privée et familiale, le droit au respect des biens, au respect du domicile ou encore, en matière d’expropriation, la nécessaire préservation de l’intérêt général.
Toutefois, en raison du caractère absolu du droit de propriété, la réalisation d’un tel contrôle de proportionnalité est souvent extrêmement délicate.
Ainsi, la jurisprudence rejette systématiquement toute demande visant à justifier l’empiètement d’une construction sur la propriété d’autrui en raison de son caractère proportionné relativement à la défense d’un autre droit fondamental (Civ. 3ème, 4 juill. 2019, n° 18-17.119 ; Civ. 3ème, 21 déc. 2017, n° 16-25.406). Une seule solution est alors admise : la démolition intégrale de tout immeuble empiétant sur une parcelle voisine, même de quelques centimètres seulement (Civ. 3ème, 20 mars 2002, n° 00-16015). Seule exception à la sévérité des juges : lorsqu’une démolition partielle de la construction suffit à faire cesser l’empiètement (Civ. 3ème, 10 nov. 2016, n° 15-25.113).
Que se passe-t-il cependant, lorsqu’une construction n’empiète pas sur un fonds voisin appartenant à un autre propriétaire, mais sur une servitude de passage qui grève la parcelle du propriétaire de l’immeuble ?
Telle était la situation ayant conduit les conseillers de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation à rendre un arrêt sur la question le 19 décembre 2019 (n° 18-25.113).
Dans cette affaire, des indivisaires avaient obtenu, au profit de leur parcelle, l’attribution d’une servitude de passage grevant des terrains voisins appartenant à l’un des indivisaires et son enfant. Ces derniers ont alors entrepris de réaliser des plantations et de construire une maison d’habitation sur leur parcelle en empiétant sur l’assiette de la servitude, réduisant significativement la largeur du passage.
Condamnés à démolir les constructions réalisées, les propriétaires du fonds servant se pourvurent en cassation, invoquant la Convention européenne des droits de l’Homme et le droit fondamental au respect de leur domicile.
L’argument fut repris par les Hauts conseillers qui décidèrent qu’ « en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la mesure de démolition n’était pas disproportionnée au regard du droit au respect du domicile de Mme X... et de M. Z..., la cour d’appel n’[avait] pas donné de base légale à sa décision ; ».
Selon la Cour, il était donc nécessaire de réaliser un contrôle de proportionnalité préalablement au prononcé de la démolition. Seul un tel contrôle aurait permis de vérifier, concrètement, que la protection du droit de passage assurée par la démolition de la construction était bien proportionnée au respect du domicile des propriétaires du fonds servant tel que garanti par l’article 8 de la Convention.
Une telle décision ne condamne pas, en soi, le prononcé de la démolition. Elle ne constitue donc pas un blanc-seing offert aux propriétaires de fonds servants pour empiéter sur les servitudes de passage susceptibles de grever leurs parcelles.
Elle impose toutefois une mise en balance préalable des différents droits en présence : le droit de passage des titulaires de la servitude d’une part, et le droit au respect du domicile des propriétaires du fonds servant d’autre part.
En l’occurrence, les juridictions du fond auraient dû vérifier, par exemple, quel était le degré d’empiètement de la construction sur la servitude (le passage était-il toujours permis ou l’empiètement rendait-il son exercice trop incommode ?), voir s’il était également possible de procéder à des aménagements de nature à préserver le domicile des requérants (une démolition partielle était-elle possible ? Un déplacement de l’assiette de la servitude était-il envisageable ? etc.).
S’agit-il, pour autant, d’un revirement de jurisprudence de nature à faire évoluer les décisions relatives à l’empiètement de constructions sur des propriétés voisines, dont la sévérité est régulièrement discutée ?
En l’état, la réponse à cette interrogation ne peut être que négative.
En effet, il convient de noter, d’une part, que l’empiètement ainsi réalisé ne porte pas atteinte à un fonds voisin appartenant à un propriétaire distinct. Au contraire, il diminue l’exercice d’une servitude qui grève la parcelle appartenant exclusivement aux propriétaires de la construction en cause. En d’autres termes, il ne s’agissait pas de défendre la propriété d’un tiers, mais le bénéfice d’un droit réel de servitude.
D’autre part, la construction en cause était une maison à usage d’habitation entrant clairement dans le cadre de la protection du domicile prévu à l’article 8 de la Convention. Dès lors, il n’est pas certain que d’autres types de constructions puissent bénéficier d’une protection similaire ; le droit au domicile semblant revêtir une valeur supérieure par rapport au droit fondamental au respect des biens dont les atteintes paraissent de moindre gravité.