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    mercredi, 15 juin 2022 14:58

    Nouveau tour de vis en ce qui concerne l’intérêt à agir des associations de défense de l’environnement (CE, 12 avril 2022, 451778).

    Écrit par Me Philippe Tosi

    Mich AH2224 dessin Philippe

    Dessin: Michel Szlazak

    Par une décision rendue le 12 avril dernier, le Conseil d’Etat vient restreindre encore davantage l’intérêt pour agir des associations de contester par la voie contentieuse les autorisations d’urbanisme, quelques jours seulement après la décision du Conseil constitutionnel du 1er avril 2022, laquelle avait jugé conformes à la Constitution les dispositions de l’article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme, selon lesquelles une association n'est recevable à agir contre une décision relative à l'occupation ou l'utilisation des sols que si le dépôt des statuts de l'association en préfecture est intervenu au moins un an avant l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire (voir https://www.andreani-humbert.fr/avocats-marseille-actualites/292-legalite-vs-securite-juridique-la-restriction-apportee-par-la-loi-elan-aux-recours-des-associations-est-jugee-conforme-a-la-constitution).

    Dans l’arrêt rendu par les juges du Palais-Royal, il était question de l’association Vivre l'Ile 12/12, laquelle avait formé un appel contre un jugement du tribunal administratif de Nantes rejetant le recours formé contre une autorisation d’urbanisme délivrée par la commune de Noirmoutier.

    L’association n’était qu’intervenante en première instance – intervention par ailleurs rejetée par les juges du tribunal administratif –, et son appel, admis par les magistrats de la Cour de Nantes, avait conduit à l’annulation de la décision initialement querellée – cet arrêt fit l’objet du pourvoi.

    Pour rappel, de jurisprudence constante, la personne physique ou morale qui intervient en première instance, à l’appui d’une demande ou en défense à celle-ci, n’est recevable à faire appel du jugement rendu contrairement aux conclusions de son intervention que si elle aurait eu qualité, soit pour introduire elle-même le recours sur lequel statue ce jugement, soit pour former tierce-opposition à ce dernier (CE, Sect., 9 janvier 1959, Sieur Harenne, n° 41383, Rec. p. 24).

    Au demeurant, un intervenant en première instance a toujours qualité pour former un appel contre l’article d’un jugement ayant refusé d’admettre son intervention (CE, Sect., 6 novembre 1959, Dame Pomar, Rec. p. 583).

    En l’espèce, les juges d’appel nantais ont considéré, contrairement à la position adoptées par les premiers juges, que l’association appelante, Vivre l’Ile 12/12, disposait d’un intérêt pour agir qui lui aurait permis, le cas échéant, d’introduire la demande initiale d’annulation contre le permis de construire délivré par la commune de Noirmoutier.

    Toutefois, pour le Conseil d’Etat, l’objet même de ladite association, relevant de la préservation générale de la nature et de l’environnement (« assurer la protection de la nature et de l'environnement de l'île de Noirmoutier, de sauvegarder sa flore, sa faune, ses réserves naturelles, en tenant compte du milieu dont elles dépendent, de veiller au bon équilibre des intérêts humains, sociaux, culturels, scientifiques, économiques, sanitaires et touristiques »), ne pouvait caractériser l’existence d’un intérêt à agir suffisant, dès lors que l’autorisation d’urbanisme portait sur la construction d'une maison individuelle sur un terrain d’ores et déjà grevé d’une construction, dans une zone elle-même urbanisée.

    Ce faisant, cet arrêt s’inscrit dans un mouvement pérenne de restriction de l’accès au juge administratif, statuant en matière d’urbanisme, pour les associations, à rebours des cas plus généraux dans lesquels l’intérêt pour agir s’apprécie au regard de l’objet social de l’association tel qu’il figure dans les statuts, le lien entre le recours d’une association et son objet social devant alors être suffisamment direct (CE, 30 décembre 2014, Association des familles victimes de saturnisme, n° 367523).

    Ainsi qu’avait pu le rappeler Jean-Marc SAUVE lors de son intervention à l’occasion de la rentrée solennelle de l’École de formation professionnelle des barreaux de la Cour d'appel de Paris, le 3 janvier 2011, le requérant, en excès de pouvoir, n’est pas « tenu de justifier d'un droit subjectif lésé, mais d'un simple intérêt pour agir, notion qui est largement entendue par le juge » ; il en est différemment lorsqu’il est question d’une autorisation d’urbanisme.

    Ainsi que l’illustre le cas d’espèce, la lecture qui est effectuée par le juge administratif tend à présumer une absence d’atteinte à la nature et à l’environnement lorsqu’il est question d’une construction en remplaçant une autre, d’ores et déjà existante, au sein d’un ensemble urbanisé.

    Pourtant, à défaut d’une construction à l’identique ou quasiment similaire, il est possible de penser que le renouvellement du bâti peut avoir des conséquences sur la nature et l’environnement des lieux.

    En tout état de cause, au vu de cette précision jurisprudentielle, pour pouvoir continuer d’agir en de pareilles circonstances, les associations de défense de la nature et de l’environnement devront nécessairement préciser la consistance de leurs champs d’intervention.