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    mardi, 22 mars 2022 10:51

    Les salariés lanceurs d’alerte protégés par la liberté d’expression.

    Écrit par Laurène Astruc-Cohen

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    Crédit dessin: Michel Szalzak

    La chambre sociale de la Cour de cassation a rendu le 19 janvier 2022 une décision publiée au bulletin dans laquelle elle décide qu’ « en raison de l’atteinte qu’il porte à la liberté d’expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, des faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis seraient de nature à caractériser des infractions pénales ou des manquements à des obligations déontologiques prévues par la loi ou le règlement, est atteint de nullité ».

    Dans cet arrêt dont les faits datent de 2011, le salarié d’une société d’expertise-comptable et de commissariat aux comptes avait alerté son employeur sur une situation de conflit d’intérêts concernant la société entre ses missions d’expert-comptable et celles de commissaire aux comptes, situation prohibée par le Code de déontologie de la profession, en soulignant qu’il n’hésiterait pas à saisir la compagnie régionale des commissaires aux comptes s’il ne parvenait pas à discuter de cette question avec son employeur.

    En l’absence de toute réaction de son employeur, ledit salarié a saisi la compagnie régionale des commissaires aux comptes.

    Quatre jours après la saisine de l’organisme, le salarié était licencié pour faute grave.

    Contestant fermement ce licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud’homale aux fins de faire constater le caractère nul ou sans cause réelle et sérieuse de celui-ci.

    La Cour d’appel de Paris saisie du litige avait décidé que le licenciement était nul pour violation d’une liberté fondamentale et avait condamné en conséquence l’employeur à payer au salarié des sommes à titre de salaire de mise à pied et congés payés afférents, d’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, d’indemnité de licenciement et d’indemnité pour licenciement nul.

    La Cour d’appel a notamment reproché à l’employeur le contenu de la lettre de licenciement faisant mention expresse des menaces par le salarié  de saisine de la compagnie régionale des commissaires aux comptes et de mise en œuvre concomitante de la procédure de licenciement avec l’alerte.

    Pour retenir la nullité du licenciement et approuver la décision de la Cour d’appel, la Cour de cassation se fonde sur la liberté d’expression et le droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail.

    La Cour de cassation ainsi que la Cour d’appel viennent une nouvelle fois protéger les salariés lanceurs d’alerte face à la dénonciation de situations pouvant caractériser des manquements à des obligations qui cette fois-ci sont déontologiques. 

    En rendant cette décision, la Cour a implicitement mis en lumière nombre de principes qui animent la protection des salariés et qui étaient inapplicables en l’espèce au vu de l’antériorité des faits.

    En effet, les dispositions de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique et de l’article L1132-3-3 du Code de travail protégeant les lanceurs d’alerte n’étaient pas encore en vigueur au moment des faits.

    De la même manière, l’article L1235-3-1 du Code du travail permettant de solliciter la nullité d’un licenciement en raison de la violation d’une liberté fondamentale est issu de l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 et de la loi n°2018-217 du 29 mars 2018 et n’est entré en vigueur qu’à compter du 1er avril 2018. 

    La volonté d’une jurisprudence homogène au sujet des lanceurs d’alerte semble dès lors évidente.