Actualités

    mercredi, 19 janvier 2022 15:01

    Démolition d’une extension qui prive la construction voisine d’ensoleillement et de vue sur les collines : une action indépendante de l’article L.480-13 du code de l’urbanisme

    Écrit par Me Inès Duveau

    Cass. Civ. 3e 20 octobre 2021, n° 19-23.233, 19-26.155, 19-26.156

    La perte de vue et d’ensoleillement entraînée par une construction voisine, peut, lorsqu’elle constitue un trouble qui excède les inconvénients normaux du voisinage, entraîner sa démolition.

    L’action en démolition fondée sur l’existence d’un trouble anormal du voisinage est alors indépendante de l’action fondée sur l’article L.480-13 du code de l’urbanisme.

    Michilus 2203 demolition

    Dessin: Michel Szlazak

    Par arrêté en date du 24 novembre 2008, un particulier obtenait un permis de construire pour l'extension de sa maison d'habitation en limite de propriété, comprenant la création d'un garage et d'une terrasse couverte et le changement de destination du garage existant en habitation.

    A la suite d’un recours exercé par le propriétaire voisin, par jugement du 7 juin 2011, le tribunal administratif de Lyon annulait cet arrêté, ce qu'a confirmé la cour administrative d'appel de Lyon dans arrêt du 19 juin 2012.

    Par arrêté en date du 16 janvier 2013, ce dernier obtenait un nouveau permis de construire afin de régulariser sa construction contre lequel un nouveau recours va être exercé par les voisins qui vont être déboutés par jugement du tribunal administratif de Lyon en date du 7avril 2016.

    Sur appel interjeté par ces derniers, la cour administrative d’appel de Lyon, dans un arrêt du 12 avril 2018, annulait le jugement du tribunal administratif ainsi que l'arrêté de permis de construire du 16 janvier 2013.

    Elle reprochait au projet d’avoir méconnu la règle relative au retrait des constructions, prévue à l’article UC7 du plan local d’urbanisme qui interdit, sauf dans des cas limitativement énoncés, les constructions en limite séparative (distance de 4 mètres minimum),

    Par acte du 27 février 2013, ses voisins le faisaient assigner devant le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse aux fins d’obtenir la démolition de l’extension réalisée sur le fondement de l’article L.480-13 du code de l’urbanisme ainsi que sur le fondement des troubles anormaux du voisinage.

    Déboutés en première instance ces derniers vont interjeter appel de ce jugement devant la Cour d’appel de Lyon qui va faire droit à leurs demandes dans un arrêt rendu le 17 septembre 2019.

    En appel, le propriétaire de la construction litigieuse sollicitait de voir écarter la demande de démolition au motif notamment que la construction n'était pas située dans une zone listée au regard de la nouvelle rédaction de l'article 480-13 du code de l'urbanisme issue de la loi du 6 août 2015, que la démolition porterait une atteinte disproportionnée à sa vie familiale et privée en contravention avec l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et de l'absence de trouble de voisinage.

    La Cour d’appel va rejeter leur demande sur le fondement de l’article L.480-13 du code de l’urbanisme au motif « qu’il n'est pas allégué que la construction, dont la destruction est demandée, se situe dans une des zones concernées ».

    En revanche elle va juger que l’extension en cause constitue un trouble anormal de voisinage, dès lors que les voisins, qui jouissaient auparavant d’une vue dégagée sur les collines, avaient désormais vue sur un mur de parpaings et que la nouvelle construction faisait de l’ombre à leur piscine, et a condamné le propriétaire voisin à démolir son extension sous astreinte.

    Ce dernier s’est pourvu en cassation, reprochant aux juges d’appel de ne pas avoir fait application de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme, relatif à l’action en démolition pour violation des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique.

    Cet article dispose que :

    « Lorsqu’une construction a été édifiée conformément à un permis de construire :

    1° Le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l’ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative et, sauf si le tribunal est saisi par le représentant de l’État dans le département sur le fondement du second alinéa de l’article L. 600-6, si la construction est située dans l’une des zones suivantes : […] ».

    Le propriétaire de la construction litigieuse faisait valoir qu’en application de cet article la démolition ne pouvait être prononcée que dans certains périmètres protégés ou à risque et qu’en l’espèce, il n’était pas allégué que la construction en cause soit dans l’emprise de l’un des périmètres visés.

    La question qui se posait également à la Cour de cassation était celle de savoir si le juge judiciaire pouvait, sur le fondement des troubles anormaux du voisinage, ordonner la démolition d’une construction réalisée conformément à un permis de construire annulé mais en violation des règles d’urbanisme, et alors que les conditions de l’article L.480-13 n’étaient pas réunies en l’espèce.

    La Cour de cassation va répondre favorablement à cette question et rejeter le pourvoi formé par le propriétaire de la construction litigieuse aux motifs que « les dispositions de l'article L. 480-13, 1°, du code de l'urbanisme ne s'appliquant qu'aux demandes de démolition fondées sur la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique, c'est sans violer ce texte que la cour d'appel, appréciant souverainement les modalités de la réparation du trouble anormal du voisinage qu'elle constatait, a ordonné la démolition de la construction litigieuse ».

    Les hauts magistrats vont relever à l’appui de leur décision que l'extension de la maison avait été construite en limite de propriété, dans une zone de faible densité urbaine, sur une longueur de dix-sept mètres, pour une emprise au sol de soixante-dix mètres carrés et une hauteur de quatre mètres.

    Elle approuve les juges du fond d’avoir constaté qu'au lieu d'une vue dégagée sur les collines les voisins à l’origine du recours devant le juge civil avaient désormais vue sur un mur de parpaings et que la nouvelle construction faisait de l'ombre à leur piscine.

    La cour de cassation va ainsi approuver les juges du fonds d’avoir déduit de ces éléments que la nouvelle construction causait à ces derniers un trouble qui excédait les inconvénients normaux du voisinage, sans qu'il fût besoin de rechercher si une faute avait été commise.

    Deux enseignements sont à tirer de cette décision.

    En premier lieu, un voisin qui estime qu’une construction lui est préjudiciable peut éluder les contraintes posées par l’article L.480-13 du code de l’urbanisme en fondant son action en démolition sur l’existence d’un trouble anormal du voisinage qui n’exige pas la démonstration d’une faute.

    En second lieu, le juge civil n’hésite pas à ordonner la démolition de l’ouvrage afin de réparer un trouble qui excède les inconvénients normaux du voisinage (voir déjà en ce sens une décision rendue par la 3ème chambre civile le 7 décembre 2017, pourvoi n°16-13.309).