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    lundi, 15 novembre 2021 09:16

    Le seul dépôt d’une marque est-il constitutif d’un acte de contrefaçon ?

    Écrit par Laurène Astruc

    Dessin 12.11.2021

    Crédit dessin: Michel Szlazak

    Par deux arrêts en date du 13 octobre 2021, la Cour de cassation a aligné sa position sur celle de la Cour de justice de l’Union Européenne, en considérant que le simple dépôt d’une marque ne pouvait constituer à lui seul un acte de contrefaçon. Il y aura lieu désormais de vérifier l’existence d’autres critères tels que l’usage dans la vie des affaires, pour des produits ou services similaires à celui qui se plaint de la contrefaçon, ou encore le risque de confusion dans l’esprit du public.

    La contrefaçon est définie par l’institut national de la propriété industrielle comme la reproduction, l’imitation ou l’utilisation totale ou partielle d’un droit de propriété intellectuelle sans l’autorisation de son propriétaire.

    La contrefaçon peut toucher indifféremment une marque, un modèle, un brevet, un droit d’auteur, un logiciel, un circuit intégré ou une obtention végétale.

    S’agissant des marques, la jurisprudence interne était jusqu’à présent hésitante quant à la question de savoir si le simple dépôt d’une marque reproduisant une marque antérieure, sans usage effectif dans le monde des affaires, était de nature à constituer un acte de contrefaçon[1].

    La Cour de cassation avait jusqu’à présent une interprétation des articles L713-2, L713-3 et L716-1 du Code de la propriété intellectuelle dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019, lui permettant de considérer que le simple fait de déposer une marque identique ou similaire à une marque antérieure était susceptible de constituer un acte de contrefaçon.

    En effet, le dépôt de la marque contrefaisante était perçu comme une atteinte au droit exclusif du titulaire de la marque antérieure causant nécessairement un dommage. [2]

    Toutefois, par deux arrêts en date du 13 octobre 2021, la Cour de cassation a changé de position et a considéré que le seul dépôt d’une marque ne pouvait constituer un acte de contrefaçon.

    Ce revirement s’explique au regard des jurisprudences rendues par la Cour de justice de l’Union européenne qu’elle cite par ailleurs dans les deux arrêts susmentionnés.

    En effet, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que « le titulaire d’une marque enregistrée ne peut interdire l’usage par un tiers d’un signe similaire à sa marque que si cet usage a lieu dans la vie des affaires, est fait sans le consentement du titulaire de la marque, est fait pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque a été enregistrée et, en raison de l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public, porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte à la fonction essentielle de la marque qui est de garantir aux consommateurs la provenance du produit ou du service »[3].

    La Cour de cassation considère ainsi désormais qu’une demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque, même lorsqu’elle est accueillie, ne caractérise pas un usage pour des produits ou des services au sens de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, en l’absence de tout début de commercialisation de produits ou services sous le signe.

    De même, la Cour indique qu’en pareil cas, aucun risque de confusion dans l’esprit du public et, par conséquent, aucune atteinte à la fonction essentielle d’indication d’origine de la marque, ne sont susceptibles de se produire.

    La Cour de cassation affirme désormais clairement que « la demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque ne constitue pas un acte de contrefaçon » et que le moyen qui postule le contraire n’est pas fondé.

    A présent, il sera nécessaire de tenir compte des différents critères dégagés par la Cour de justice de l’Union européenne afin de déterminer si le dépôt de marque est ou non constitutif d’une contrefaçon.

    Les deux décisions du 13 octobre 2021 permettent une harmonisation des jurisprudences internes sur ce sujet à l’origine de vifs débats.

     

    [1] TGI de Paris, 3ème chambre, 22 septembre 2017 n°2016/04325 et en sens contraire v. TGI de Paris, 3ème chambre, 19 octobre 2017 n°2016/00937

    [2] Com. 24 mai 2016 n°14-17.533

    [3] CJUE 3 mars 2016, Daimler, aff. C-179/15, points 26 et 27