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    lundi, 25 octobre 2021 13:21

    Secret des affaires et mesures d’instruction préventives : un contrôle renforcé

    Écrit par Me Valentine Wirig

    Michilus AH2142B secret web

    Crédit dessin: Michel Szlazak

    Dans un arrêt du 10 juin 2021[1] la deuxième chambre de la Cour de cassation a défini les critères d’appréciation à appliquer par les juges du fond lorsque le droit d’établir ou de conserver une preuve avant tout procès se heurte au secret des affaires.

    Pour mémoire, l’article 145 du Code de procédure civile dispose que « S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées, à la demande de tout intéressé. »

    La Cour de cassation avait déjà établi que la demande de mesure d’instruction devait reposer sur des faits précis, objectifs et vérifiables, qui permettaient de projeter un litige futur comme plausible et crédible. Ainsi, la mesure sollicitée doit être légalement admissible et ne doit pas être demandée dans le seul objectif de contourner un secret légitime comme le secret des affaires.

    La haute juridiction ajoute que : « Si le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile, c’est à la condition que le juge constate que les mesures qu’il ordonne procèdent d’un motif légitime, sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées et ne portent pas une atteinte disproportionnée aux droits de l’autre partie au regard de l’objectif poursuivi ». 

    La protection du secret des affaires est un droit consacré par l’article L. 151-1 du Code de commerce qui définit le secret comme : « toute information répondant aux critères suivants :

    1° Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ;

    2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;

    3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret. »

    Ainsi, placé devant un conflit entre le droit de la preuve et un secret d’affaires, le juge du fond devra procéder à une double vérification : l’existence d’un motif légitime et la proportionnalité des mesures envisagées.

    Il en résulte que les mesures d’investigation générale sont exclues.

    Dans l’arrêt commenté, une société soupçonnant des actions de concurrence déloyale et de dénigrement de la part de plusieurs concurrents, avait sollicité du Juge des Référés des mesures d’instruction sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile. Le premier juge et les juges d’appel ont fait droit à la demande d’instruction, en relevant que les mesures ordonnées ne ciblaient ni des documents personnels, ni des documents couverts par un secret d'ordre professionnel ou médical et qu’il s’agissait de recourir à des mots-clés pour découvrir l'identité des auteurs des messages dénigrants. Deux sociétés visées par ces ordonnances ont alors formé un pourvoi en cassation, notamment au motif de la violation du secret des affaires.

    Dans son arrêt, la Cour de cassation a considéré qu’il ne ressortait pas de l’arrêt de la Cour d’appel que les mesures d’instruction avaient été suffisamment circonscrites dans le temps et dans leur objet et que « l’atteinte portée au secret des affaires était limitée aux nécessités de la recherche des preuves ».

    L’arrêt est donc cassé pour défaut de base légale.

    Face à ce contrôle renforcé, il appartient donc aux avocats confrontés au secret des affaires de rédiger une requête in futurum avec précision et une motivation particulière, de circonscrire les mesures demandées à ce qui est strictement nécessaire et de les limiter dans le temps.

     (1) Cass. Civ. 2ème, 10 juin 2021, 20-11.987