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    mardi, 01 juin 2021 10:19

    Constructions illégales : la commune est toujours compétente pour agir en démolition.

    Écrit par Me Andreani et Mansour Kada-Yahya

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    Crédit dessin: Michel Szlazak

    Article rédigé par Maître Joseph Andreani et Mansour Kada-Yahya, fonctionnaire territorial, chargé d'enseignement à l'université d'Aix-Marseille III.

    L’action judiciaire en démolition prévue à l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme est réservée à « La commune ou l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme ». Par un arrêt du 21 janvier 2021, la cour de cassation a jugé que la commune restait compétente pour engager une telle action, même si elle ne dispose pas elle-même de la compétence en matière de plan local d’urbanisme.

    L’article L. 480-14 du code de l’urbanisme prévoit, littéralement, que l’action en démolition peut être introduite alternativement par la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme :

    « La commune ou l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme peut saisir le tribunal de grande instance en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d'un ouvrage édifié sans l'autorisation exigée par le présent livre ou en méconnaissance de cette autorisation dans un secteur soumis à des risques naturels prévisibles. L'action civile se prescrit en pareil cas par dix ans à compter de l'achèvement des travaux ».

    Cette disposition s’est avérée équivoque. Selon un jugement du tribunal administratif de Besançon et un arrêt de la cour d’appel de Bordeaux, seule la compétence en matière de PLU détermine la qualité pour agir en démolition sur le fondement de cet article :

     « 3. En vertu du point A-2 de l’article 1 er de l’arrêté du préfet de la Haute-Saône du 11 janvier 2016, la communauté de communes de la Haute-Comté, à laquelle appartient la commune de Saint-Loup-sur-Semouse, est seule compétente pour l’élaboration, les révisions et les modifications d’un plan local d’urbanisme intercommunal, ainsi que des documents d’urbanisme préexistants.

    4. Le maire de la commune de Saint-Loup-sur-Semouse n’était donc pas compétent pour saisir le tribunal de grande instance sur le fondement de l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme et était dès lors tenu de rejeter la demande de Mme X. Les moyens soulevés par la requérante sont par conséquent inopérants» (TA de Besançon, 15 janvier 2019, n° 1701510) ;

    « L'article L. 480-14 du code de l'urbanisme dispose : 'La commune ou l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme peut saisir le tribunal de grande instance en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d'un ouvrage édifié ou installé sans l'autorisation exigée par le présent livre, en méconnaissance de cette autorisation ou, pour les aménagements, installations et travaux dispensés de toute formalité au titre du présent code, en violation de l'article L. 421-8. L'action civile se prescrit en pareil cas par dix ans à compter de l'achèvement des travaux.'

    Ainsi, contrairement à ce que soutient la commune de Lussac, seule la compétence en matière de plan local d'urbanisme détermine qui de la commune ou de l'EPCI a qualité pour agir en démolition.

    La commune de Lussac verse au dossier les statuts de la communauté de communes dans lesquels, l'article II A. Alinéa 3 de ces statuts, attribue expressément à la communauté de communes du Grand Saint-Emilionnais la compétence d'élaboration, de gestion et de suivi des documents d'urbanisme dont le plan local d'urbanisme intercommunautaire.

    Il est constant que ce transfert s'est opéré à partir du 1er janvier 2013 et que, dès lors, la communauté de commune du Grand Saint-Emilionnais avait seule qualité pour agir en démolition de la construction de Mme C., et ce quand bien même la commune détenait la compétence du plan local d'urbanisme au moment de la délivrance du permis de construire.

    Ainsi, la commune de Lussac n'avait pas qualité pour agir lorsqu'elle a assigné Mme C. le 25 août 2013, cette date étant postérieure à celle du transfert de la compétence du PLU à l'EPCI » (CA de Bordeaux, 2e chambre civile, 24 octobre 2019, n° 17/00442.

    Le Conseil Constitutionnel a également considéré, de manière incidente, que « cette action en démolition ne peut être introduite que par les autorités compétentes en matière de plan local d'urbanisme » (décision n° 2020-853 QPC du 31 juillet 2020).

    Cette lecture ne va pas de soi. Outre la lettre du texte, il ressort clairement des travaux législatifs ayant précédé la loi qui a institué cette action en démolition (loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages), que cette action a été avant tout conçue pour les maires, qui sont toujours en première ligne et mis en cause lorsque des travaux illégaux qui auraient dû être démolis ne l’ont pas été. Ainsi cette action de dix ans palie l’expiration plus rapide du délai de prescription pénale.

    Les débats parlementaires (3ème séance du 6 mars 2003) laissent penser que le législateur a souhaité que les maires disposent toujours de cette action :

     « Placés en première ligne, souvent mis en cause lors des catastrophes, les maires doivent disposer de moyens leur permettant de prévenir les risques naturels. Or ils sont aujourd'hui confrontés à la prescription de trois ans, qui s'applique à toutes les constructions, qui deviennent inattaquables par la puissance publique au-delà de ce délai. Une solution consisterait à permettre aux communes d'engager une action civile, alors qu'actuellement seule une action pénale est possible dans un délai de trois ans ».

     « Les maires sont aujourd'hui confrontés à un obstacle important dans leur action de prévention des risques naturels du fait de la prescription de trois ans qui s'applique à toutes les constructions, rendant celles-ci inattaquables par la puissance publique au-delà de ce délai. Les maires, qui sont systématiquement mis en cause lors de catastrophes, sont souvent placés dans l'impossibilité d'anticiper les risques, même tout à fait prévisibles et évidents. La solution proposée consiste à permettre aux communes d'engager une action civile, alors que, pour l'instant, elles ont seulement accès à l'action pénale. La puissance publique aura ainsi la possibilité d'engager une action près du juge civil dans un délai de dix ans pour demander la démolition des bâtiments irrégulièrement édifiés sans que cela crée de dérogation à la prescription générale de trois ans prévue par l'article 8 du code de procédure pénale ».

    L’esprit de la loi suppose donc que la commune dispose en tout état de cause de cette action.

    Cette interprétation a été confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 21 janvier 2021, rendu au visa de l’article L.480-14 susvisé :

    « Il résulte de l’article L. 480-1 du code de l’urbanisme que la commune a qualité pour agir, concurremment avec l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d’urbanisme, pour exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits commis sur son territoire.

    8. Il ressort de l’article L. 422-3 du code de l’urbanisme que la commune conserve, sauf délégation, sa compétence pour délivrer le permis de construire, d’aménager ou de démolir et pour se prononcer sur un projet faisant l’objet d’une déclaration préalable.

    9. Il s’ensuit que le transfert de la compétence en matière de plan local d’urbanisme au profit d’un établissement public de coopération intercommunale ne prive pas la commune de toute compétence pour délivrer les autorisations et faire sanctionner la violation des règles d’urbanisme.

    10. De surcroît, la réalisation de l’objectif d’intérêt général qui s’attache au respect de ces règles et justifie l’action en démolition ou en mise en conformité implique la faculté pour la commune d’exercer cette action en cas d’abstention de l’établissement public compétent en matière de plan local d’urbanisme, alors même qu’une violation de la règle d’urbanisme a été constatée.

    11. Pour déclarer irrecevables les demandes de la commune, l’arrêt retient que seule la compétence en matière de plan local d’urbanisme détermine qui, de la commune ou de l’établissement, a qualité pour agir en démolition, que la commune verse au dossier les statuts de la communauté de communes du Grand Saint-Emilionnais qui attribuent expressément à cette communauté la compétence d’élaboration, de gestion et de suivi des documents d’urbanisme, dont le plan local d’urbanisme intercommunautaire, et qu’il est constant que ce transfert s’est opéré à partir du 1er janvier 2013, de sorte que, à la date de l’assignation, la communauté de communes avait seule qualité pour agir en démolition de la construction de Mme G..., quand bien même la commune détenait la compétence du plan local d’urbanisme au moment de la délivrance du permis de construire.

    12. En statuant ainsi, alors que la commune a, concurremment avec l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme, qualité pour agir en démolition ou en mise en conformité, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (Cour de cassation, 3ème chambre civile, 21 janvier 2021, n°20-10.602).

    Ainsi, l’article L.480-14 du code de l’urbanisme n’a pas pour objet de priver la commune d’agir en démolition lorsqu’elle ne dispose pas ou plus de la compétence en matière de plan local d’urbanisme.