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    jeudi, 11 mars 2021 10:40

    L’affirmation du contrôle de l’action préfectorale face aux exploitations illégales de surfaces commerciales, avant l’empire de la loi n° 2018-1021

    Écrit par Victoria Azkoul

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    Crédit dessin: Michel Szlazak

    Dès lors qu’une infraction aux articles L. 752-1 à L. 752-3 du code de commerce est caractérisée, les préfets sont tenus, en application du premier alinéa de l’article L. 752-23 du code de commerce, de faire constater l’exploitation illégale des surfaces de vente correspondantes et d’en dresser le procès-verbal. Bien plus, depuis la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ELAN, le préfet est tenu de mettre en demeure l’exploitant soit de fermer la surface illicite soit de ramener la surface à la surface autorisée ; l’absence d’une telle mise en demeure ne pouvant être justifiée que par un motif légal avant l’entrée en vigueur de cette loi.

    Cette compétence liée résulte de l’article 168 de cette loi. Antérieurement, cette compétence était discrétionnaire.

    Par un arrêt en date du 15 février 2021, la cour administrative d’appel de Marseille illustre deux aspects importants des pouvoirs du préfet, avant l’entrée en vigueur de cette loi.

    Dans cette affaire, la Commission nationale d’aménagement commercial (ci-après, « la CNAC ») avait autorisé la création d’un ensemble commercial composé de 39 cellules, dont deux moyennes surfaces d’équipement de la maison de 2 000 et 830 m².

    Or, une enseigne appartenant à cet ensemble commercial exploite depuis son ouverture plus de 5 000 m² – 5 755 m² exactement – de surface de vente. Le projet a donc subi une modification substantielle au cours de sa réalisation, sans qu’une nouvelle demande d’autorisation d’exploitation commerciale ait été déposée, en violation de l’article L. 752-15 du code de commerce.

    L’association En toute franchise département des Alpes-Maritimes a alors demandé, par un courrier en date du 04 octobre 2016, au préfet des Alpes-Maritimes de constater cette exploitation illicite et de mettre en demeure l’exploitant soit de fermer la surface illicite soit de ramener la surface à la surface autorisée.

    A la suite du refus implicite de rejet du préfet, le tribunal administratif de Nice, par un jugement du 12 décembre 2018, a rejeté la requête de l’association En toute franchise département des Alpes-Maritimes.

    La cour administrative d’appel de Marseille a annulé ce jugement en considérant que :

    • Le préfet dispose d’un pouvoir hiérarchique sur les agents chargés de réaliser le contrôle des surfaces illicites, pouvoir qui lui permet de leur ordonner de constater les infractions (1) ;
    • L’abstention d’exercer un pouvoir discrétionnaire doit néanmoins reposer sur un motif légal (2).
    1. Sur le pouvoir du préfet de faire constater les infractions à la législation commerciale

    L’article L. 752-23 II al. 1er, dans sa version en vigueur en 2016 comme dans celle en vigueur depuis 2018 dispose :

    « Les agents habilités à rechercher et constater les infractions aux articles L. 752-1 à L. 752-3 en vertu de l’article 9 de la loi n° 89-1008 du 31 décembre 1989 relative au développement des entreprises commerciales et artisanales et à l’amélioration de leur environnement économique, juridique et social, constatant l’exploitation illicite d’une surface de vente, au regard du présent titre, établissent un rapport qu’ils transmettent au préfet du département d’implantation du magasin. »

    En première instance, les juges avaient considéré que le pouvoir d’engager ou non une enquête et de constater des infractions appartient aux seuls agents et non au préfet :

    « Si le préfet du département d’implantation d’un magasin soupçonné d’une exploitation illicite de surface commerciale peut communiquer aux agents habilités à contrôler les surfaces de vente les informations dont il dispose sur les surfaces commerciales exploitées par ce magasin, aucun texte ne lui confère, en revanche, le pouvoir d’enjoindre à ces agents d’ouvrir une enquête, de constater des infractions et ensuite de lui rendre un rapport aux fins de faire usage des pouvoirs de l’article L. 752-23 du code commerce » (TA Nice, 12 décembre 2018, n° 1605166).

    Or, les juges d’appel affirment :

    « 4. Les agents des directions départementales de la protection des populations habilités par le ministre de l’économie à procéder à des enquêtes sur le fondement du II de l’article L. 450-1 du code de commerce sont placés sous l’autorité du préfet de département en application de l’article 1er du décret n° 2009-1484 du 3 décembre 2009 relatif aux directions départementales interministérielles » (CAA Marseille, 15 février 2021, n° 19MA00852).

    Le préfet dispose donc « d’un pouvoir hiérarchique sur ces agents lui permettant de leur ordonner de constater les manquements aux infractions sur la législation commerciale » (CAA Marseille, 15 février 2021, n° 19MA00852, précité).

    La cour administrative d’appel met d’ailleurs en exergue que ce pouvoir hiérarchique est affirmé explicitement aujourd’hui dans le code de commerce :

    « Au surplus, le premier alinéa de l’article R. 752-44-18 du même code, introduit par l’article 4 du décret n° 2019-563 du 7 juin 2019, prévoit désormais que : « Pour l’application des dispositions de l’article L. 752-5-1 et du II de l’article L. 752-23, le préfet peut mandater des fonctionnaires habilités à cet effet par le ministre chargé de l’économie pour réaliser des contrôles ». » (CAA Marseille, 15 février 2021, n° 19MA00852, précité).

    Reste alors la question de l’étendue des pouvoirs du préfet en présence d’une infraction à la législation commerciale.

    1. L’inaction administrative doit être justifiée par un motif légal

    Les juges du tribunal administratif avaient considéré qu’en l’absence de rapport constatant l’infraction transmis par les agents habilités, « le préfet des Alpes-Maritimes ne pouvait faire application des mesures prévues par l’article L. 752-23 du code de commerce aux fins de faire cesser une situation d’exploitation illégale » (TA Nice, 12 décembre 2018, n° 1605166, précité).

    Cependant, la cour administrative d’appel de Marseille, ayant démontré le pouvoir hiérarchique du préfet sur les agents habilités à constater les infractions, affirme que ce même préfet, « en gardant le silence, a procédé implicitement à une inexacte qualification juridique des faits en considérant que la surface de vente de ce magasin n’était pas exploitée illicitement en tant qu’elle excède 2 000 mètres carrés ».

    Le préfet est donc tenu de constater l’exploitation illégale d’une surface commerciale (voir également TA Lyon, 13 décembre 2018, n° 1706278).

    Le juge administratif d’appel va même plus loin et considère qu’en plus de constater l’infraction, le préfet aurait dû justifier son refus d’utiliser ses pouvoirs issus de l’article L. 752-23 du code de commerce par un motif légal :

    « 7. En outre, si le préfet des Alpes-Maritimes a fait valoir devant le tribunal administratif qu’il disposait, avant l’entrée en vigueur de l’article 168 de la loi n° 2018-1021, d’un pouvoir discrétionnaire en cas d’exploitation illicite, pour mettre en œuvre les pouvoirs prévus à l’article L. 752-23 du code de commerce, la décision refusant d’exercer ces prérogatives n’en devait pas moins reposer sur un motif légal. » (CAA Marseille, 15 février 2021, n° 19MA00852, précité).

    En effet, l’article L. 752-23 du code de commerce disposait, avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2018-1021 précitée :

    « Le préfet peut mettre en demeure l’exploitant concerné soit de fermer au public les surfaces de vente exploitées illégalement en cas de création, soit de ramener sa surface commerciale à l’autorisation d’exploitation commerciale accordée par la commission d’aménagement commercial compétente, dans un délai d’un mois »

    Certains préfets justifiaient donc leur refus de poursuivre l’infraction par l’existence d’un pouvoir discrétionnaire qui leur aurait été octroyé par le terme « peut » de l’article L. 752-23 du code de commerce.

    Or, les juges administratifs d’appel soulignent que, quand bien même existerait un pouvoir de refuser de poursuivre ces infractions, ce refus, comme toute action administrative, doit toujours reposer sur un motif légal.

    En l’espèce, aucun motif légal ne justifiait le refus du préfet des Alpes-Maritimes de faire cesser l’exploitation illégale des surfaces commerciales en cause.

    Dès lors, le refus est entaché d’illégalité et il est enjoint au préfet de faire cesser les infractions.

    Ainsi, le juge contrôle les motifs de l’inaction préfectorale face à l’exploitation illégale de surfaces de vente. Cette inaction doit être légalement justifiée.

    Ce contrôle, et la sanction d’une inaction illégale, a également été illustré par un arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon en date du 13 février 2020 :

    « 5. Pour refuser de mettre en demeure la société X… de fermer les surfaces de vente exploitées sans autorisation, le préfet s'est fondé sur des motifs tirés de ce que cette interruption d'activité entraînerait une perte de chiffre d'affaires ainsi qu'une suppression d'emplois. Toutefois, ainsi qu'il a été dit précédemment, il est établi que la société X… exploite irrégulièrement une surface de 1 000 m² ce qui ne constitue qu'une partie de son commerce. Si le courrier du gérant de la société adressé le 22 novembre 2017 à la direction départementale de la protection des populations du Rhône fait état d'une perte financière de 7 millions d'euros et de la suppression de 20 à 25 emplois à temps complet, ces allégations ne sont ni suffisamment circonstanciées, ni suffisamment étayées pour apprécier les conséquences économiques et sociales de la fermeture de la surface irrégulièrement exploitée. Enfin, et ainsi qu'elle le reconnaît dans ses écritures, la société a persisté à exploiter irrégulièrement la surface de vente litigieuse, en dépit de tentatives de régularisation restées infructueuses. Dans ces conditions, en refusant de mettre en demeure la société X… de fermer les surfaces exploitées sans autorisation, le préfet a entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation, sans qu'y fassent obstacle les principes de sécurité juridique et d'espérance légitime ainsi que l'article 1er du protocole additionnel n°1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. » (CAA Lyon, 13 février 2020, n° 19LY00657).