COVID-19 et entreprises en difficultés : les procédures collectives à l’heure de l’état d’urgence sanitaire
Les mesures prises pour endiguer l’épidémie de COVID-19 impactent d’ores-et-déjà durement les entreprises et risquent d’avoir, à court terme, des conséquences funestes sur l’économie mondiale. Ainsi, selon certains experts, les défaillances d’entreprises vont connaitre une hausse spectaculaire de près de 25% dans les mois à venir, quand bien même l’activité économique redémarrerait graduellement (source : coface.fr).
C’est dans ce contexte que le gouvernement, habilité par la loi d’urgence n° 2020-290 du 23 mars 2020, a pris, le 27 mars 2020, l’ordonnance n° 2020-341 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l’urgence sanitaire et modifiant certaines dispositions de procédure pénale.
L’objectif de l’ordonnance est d’anticiper les difficultés des entreprises en adaptant le cadre légal des procédures collectives aux conséquences de la crise sanitaire.
Ces règles dérogatoires visent la fixation dans le temps de l’état de cessation des paiements mais aussi l’adaptation des contraintes chronologiques des procédures :
- Règles dérogatoires relatives à fixation dans le temps de l’état de cessation des paiements
S’agissant de l’état de cessation des paiements, les articles 1 et 3 de l’ordonnance précitée fixent au 12 mars 2020 l’appréciation de la situation des entreprises ou des exploitations agricoles. Cette date correspond peu ou prou à la date de survenance de la crise.
Ce gel de leurs situations permet aux entreprises de pouvoir bénéficier des mesures ou procédures préventives même si elles connaissaient une aggravation de leur situation provoquant la cessation des paiements postérieurement au 12 mars, et ce pendant toute la période d’état d’urgence sanitaire majorée de trois mois.
Cette disposition vise principalement les procédures de conciliation et les procédures de sauvegarde.
En matière de sauvegarde, seul le débiteur peut demander, du fait de l’aggravation de la situation de l’entreprise, l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire, de liquidation judiciaire ou le bénéfice d’un rétablissement professionnel.
Comme le précise le rapport au Président de la République de la présente ordonnance : « la fixation au 12 mars 2020 de la date de l’appréciation de l’état de cessation des paiements ne peut être conçue que dans l’intérêt du débiteur, ce qui évite, en outre, qu’il ne s’expose à des sanctions personnelles pour avoir déclaré tardivement cet état. Toutefois, il convient de réserver les possibilités de fraude aux droits des créanciers, tant de la part du débiteur que d’autres créanciers, ce qui justifie également l’application des dispositions de l’article L. 631-8 du code de commerce, relatif aux nullités de la période suspecte ».
- Règles dérogatoires relatives à l’adaptation des contraintes chronologiques des procédures.
Afin que les troubles nés de la période d’urgence sanitaire ne mettent en péril la recherche de solutions préventives ou la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde ou de redressement, les dispositions de l’article 1er de l’ordonnance « assouplissent les contraintes de temps imposées par les dispositions relatives à la conciliation, d’une part, et à l’exécution d’un plan de sauvegarde ou de redressement, d’autre part ».
a/ En ce qui concerne, d’abord, la procédure de conciliation, outre une série de mesures plus générales simplifiant la procédure d’ouverture en évitant au débiteur de comparaître devant le tribunal, l’alinéa 1er du II de l’article 1er dispose que la durée de la conciliation est prolongée de plein droit de trois mois après la date de cessation de l’état d’urgence. De plus, l’alinéa 2 du II de l’article 1er précité permet, en outre, de reprendre les négociations sans attendre, en cas d’échec d’une première recherche d’accord, pendant toute la durée de l’état d’urgence sanitaire.
b/ En ce qui concerne, ensuite, la période d’observation, le 1° du II de l’article 2 de l’ordonnance tire également les conséquences de l’impossibilité de respecter certains délais prévus par le livre VI du code de commerce. Il prolonge ainsi, de plein droit et sans qu’il soit nécessaire de tenir une audience ou de rendre un jugement la durée de la période d’observation jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la date de fin de l’état d’urgence, et pour une durée équivalente à celle-ci, plus un mois.
A noter également, conformément au 1° du I de l’article 2 de l’ordonnance, que « pendant la durée correspondant à l’état d’urgence, prolongée d’un mois, il n’apparaît pas justifié de tenir systématiquement une audience intermédiaire pour s’assurer de la possibilité, pour l’entreprise, de maintenir son activité pendant la période d’observation du redressement judiciaire.[...] Cette adaptation ne fait pas obstacle à ce que le tribunal puisse, le cas échéant, être saisi d’une demande de conversion de la procédure ».
c/ En ce qui concerne, également, la durée des plans, plusieurs niveaux de prolongations sont prévus :
Premièrement, le débiteur peut bénéficier d’une prolongation de plein droit du plan de redressement de son entreprise.
En effet, l’article 2, II, de l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 prévoit une prolongation de plein droit, hors processeurs judiciaire, des durées « relatives à la période d'observation, au plan, au maintien de l'activité, et à la durée de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée ».
Cette prolongation vaut jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la date de fin de l’état d’urgence sanitaire, et sera d’une durée équivalente à celle de la période de l’état d’urgence sanitaire augmentée d’un mois.
Par exemple, si la période de crise sanitaire se conforme à sa durée initiale, soit 2 mois, le report sera de 3 mois à compter du 24 juin (24 mars + 2 mois d’état d’urgence + 1 mois prévu au I de l’article susmentionné) et prendra donc fin le 24 septembre prochain (3 mois supplémentaires).
Deuxièmement, le débiteur peut également espérer bénéficier d’une prolongation sur requête du plan de redressement de son entreprise.
En effet, des délais supplémentaires sont prévus mais ne peuvent être accordés que sur requête. L’initiative appartient toutefois au commissaire à l’exécution du plan et/ou au ministère public :
- D’une part, conformément à l’article 1er, III, 1° de l’ordonnance précitée, le président du tribunal peut, sur requête du commissaire à l’exécution du plan et jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois après la date de fin de l’état d’urgence sanitaire, prolonger les plans pour une durée maximum équivalente à celle de l’état d’urgence, plus trois mois. Le second alinéa du 1° de l’article 1er dispose également qu’une prolongation d’une durée maximale d’un an peut être prononcée sur requête du ministère public.
- D’autre part, conformément à l’article 1er, III, 2° de l’ordonnance, suite à l’expiration du délai de trois mois après la date de fin de l’état d’urgence, « et pendant un délai de six mois, sur requête du ministère public ou du commissaire à l'exécution du plan, le tribunal peut prolonger la durée du plan pour une durée maximale d'un an ».
Toutefois, comme le précise le rapport au Président de la République, « ces prolongations de la durée du plan sont possibles sans devoir respecter la procédure contraignante d’une modification substantielle du plan initialement arrêté par le tribunal, laquelle reste par ailleurs envisageable ».
d/ En ce qui concerne, enfin, la prolongation des délais de couverture des créances salariales, le 2° du I de l’article 1er de l’ordonnance permet, pendant la période d’état d’urgence sanitaire majorée de trois mois, « une prise en charge accélérée par l’association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS) ».
Si le représentant des salariés et le juge-commissaire ne sont pas écartés, il est toutefois permis, sans attendre leur intervention, au mandataire judiciaire de transmettre à l’AGS les relevés de créances salariales qui permettront à cette dernière de déclencher le versement des sommes correspondantes.
Qui plus est, comme le souligne le rapport au Président de la République, il est « impossible, par exemple, de procéder à la rupture des contrats de travail dans le délai de quinze jours à compter du jugement d’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire. Or, le non- respect de ce délai est une cause de refus de prise en charge par l’AGS. La prolongation du délai accordé au mandataire de justice n’aurait pas de sens si les limites de la garantie de l’AGS n’étaient pas adaptées ».
Raison pour laquelle les délais de couverture des créances salariales par l’AGS visés à l’article L. 3253-8 du code du travail sont prolongés jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la date de fin de l’état d’urgence et pour une durée équivalente à cette période, plus un mois.