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    lundi, 09 décembre 2019 08:43

    Permis de construire : sur qui pèse la preuve de la continuité de l’affichage ?

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    Commet une erreur de droit la cour qui met à la charge du bénéficiaire la preuve de la continuité de l’affichage sur le terrain, alors que le requérant n’apporte aucun élément mettant en doute cette continuité.

    « (…) s'il incombe au bénéficiaire d'un permis de construire de justifier qu'il a accompli les formalités d'affichage prescrites par les dispositions précitées, le juge doit apprécier la continuité de l'affichage en examinant l'ensemble des pièces qui figurent au dossier qui lui est soumis. Il suit de là qu'en mettant à la charge de M. et Mme E...la preuve de la continuité de l'affichage sur le terrain, alors que M. et Mme F...se bornaient à déclarer que rien n'établissait que l'affichage avait été régulier, sans apporter le moindre élément de nature à mettre en doute qu'il ait été maintenu pendant une période continue de deux mois, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit (…) » (CE, 17 décembre 2018, n° 411920).

    Que faire lorsque le bénéficiaire a négligé de se ménager, par constats successifs, la preuve de la continuité de l’affichage d’un permis de construire ? Par un arrêt du 17 décembre 2018, le Conseil d’Etat illustre la preuve attendue des requérants qui entendent contester cette continuité.

    Il est classiquement jugé que la preuve de la régularité de l’affichage « incombe » à son bénéficiaire : « Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles R. 421-39 et R. 490-7 du code de l'urbanisme que le délai de recours contentieux à l'encontre d'un permis de construire court à l'égard des tiers à compter de la date la plus tardive d'affichage de ce permis pendant une période continue de deux mois sur le terrain et en mairie ; que si la demande de M. X... tendant à l'annulation du permis de construire délivré le 7 février 1994 par le préfet de la Vienne au GAEC de la Chaise n'a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Poitiers que le 25 août 1994, ni le GAEC de la Chaise ni le SECRETAIRE D'ETAT AU LOGEMENT n'apportent la preuve qui leur incombe de ce que l'affichage du permis de construire ait été régulièrement réalisé ; que, par suite, le SECRETAIRE D'ETAT AU LOGEMENT n'est pas fondé à soutenir que la demande présentée par M. X... devant le tribunal administratif de Poitiers aurait été tardive » (CE, 26 mars 2001, n° 216936 ; voir également CE, 27 juin 1997, n° 158348).

    Le juge n’est donc pas censé faire peser la charge de la preuve de la continuité de l'affichage sur les requérants : « Considérant que s'il incombe au bénéficiaire d'un permis de construire de justifier qu'il a bien rempli les formalités d'affichage prescrites par les dispositions précitées, le juge doit apprécier la continuité de l'affichage en examinant l'ensemble des pièces qui figurent au dossier qui lui est soumis ; que, pour vérifier la continuité de l'affichage pendant une durée de deux mois du permis de construire délivré le 6 juillet 1995 à M. et Mme X... par le maire de Gouvieux, la cour administrative d'appel de Douai a comparé souverainement la valeur probante des différentes attestations en sens contraire qui figuraient au dossier, en se référant à l'ensemble des pièces dont elle disposait ; qu'en procédant ainsi, la cour, qui n'a pas entendu, contrairement à ce que soutiennent les requérants, faire peser la charge de la preuve de la continuité de l'affichage sur ces derniers, n'a pas entaché son arrêt d'une erreur de droit » (CE, 25 mars 2002, n° 219409 ; voir également CE, 24 janvier 2007, n° 282637). En effet, s’il est aisé pour un bénéficiaire de faire procéder aux constations nécessaires, on ne peut en revanche préjuger de la capacité du requérant à démontrer la discontinuité de l’affichage, ou même de la mettre en doute, ce qui suppose la présence de riverains à même et acceptant d’établir des attestations, lesquelles doivent en outre être jugées suffisamment probantes quant à leur contenu et la date à laquelle elles ont été établies.

    Ainsi, attendre du bénéficiaire la preuve de la continuité de l’affichage présente l’avantage de la simplicité et de l’équité. Un affichage régulier est pratiquement incontestable, pour peu qu’aient été établis plusieurs procès-verbaux constatant l’emplacement et les mentions du panneau, dont l’un à une date aléatoire pour en vérifier la continuité. Il suffit alors de rechercher si la preuve de cette continuité est ou non présente au dossier, par la présence de constats successifs : « 3. Considérant que les époux E...ont produit au dossier un seul constat d'huissier, daté du 18 juillet 2012, lequel fait état de la présence d'un panneau d'affichage sur le terrain d'assiette du projet non seulement à cette date, mais aussi à celles, postérieures à l'établissement dudit procès-verbal, des 20 août 2012 et 18 septembre 2012 ; que, dans la mesure où ces dernières mentions ne sont pas corroborées par la production d'autres procès-verbaux, établis aux dates des 20 août et 18 septembre 2012, il ne ressort pas des pièces du dossier que, comme le requièrent les dispositions précitées de l'article R. 600-2 du code de l'urbanisme, le permis de construire en litige aurait fait l'objet d'un affichage continu sur le terrain pendant une durée de deux mois ; qu'ainsi, le délai de recours contentieux n'a pu commencer à courir ; que, dès lors, la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la demande de première instance opposée en défense doit être écartée » (CAA de Marseille, 28 avril 2017, n° 16MA00203).

    Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du Conseil d’Etat du 17 décembre 2018, la cour administrative d’appel de Bordeaux avait constaté l’absence de cette preuve au dossier, et en avait logiquement déduit la recevabilité de la requête sur le plan du délai de recours : « 3. En se prévalant uniquement de la circonstance que M. et Mme I... ont joint à la plainte qu'ils ont adressés le 10 juin 2013 au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Périgueux, la photographie de l'affichage du permis tacite du 9 août 2010 sur le terrain, M. et Mme H...n'établissent pas que cet affichage ait été réalisé dans les conditions prévues par les dispositions précitées du code de l'urbanisme, notamment de continuité de l'affichage pendant une période de deux mois. Il en résulte que le délai de recours n'était pas expiré lorsque M. et Mme I... ont, le 17 août 2013, saisi le tribunal administratif d'une demande d'annulation du permis de construire du 9 octobre 2010 » (CAA de Bordeaux, 27 avril 21017, n° 15BX01473).

    Toutefois, saisi de cet arrêt, le Conseil d’Etat l’a cassé en jugeant qu’en l’espèce et en l’absence d’élément mettant en doute la continuité de l’affichage, une simple photographie du panneau devait conduire à présumer cette continuité : « 3. M. et Mme E...ont soutenu devant les juges du fond que le recours contre le permis de construire tacite du 9 octobre 2010, enregistré le 17 août 2013 au greffe du tribunal administratif, était tardif, en relevant que M. et Mme F...avaient eux-mêmes versé au dossier la photographie du panneau relatif à ce permis, apposé sur le terrain lors de sa délivrance. Pour écarter cette fin de non recevoir, la cour administrative d'appel a relevé que M. et Mme E...n'établissaient pas que l'affichage avait été maintenu pendant une période continue de deux mois. Toutefois, s'il incombe au bénéficiaire d'un permis de construire de justifier qu'il a accompli les formalités d'affichage prescrites par les dispositions précitées, le juge doit apprécier la continuité de l'affichage en examinant l'ensemble des pièces qui figurent au dossier qui lui est soumis. Il suit de là qu'en mettant à la charge de M. et Mme E...la preuve de la continuité de l'affichage sur le terrain, alors que M. et Mme F...se bornaient à déclarer que rien n'établissait que l'affichage avait été régulier, sans apporter le moindre élément de nature à mettre en doute qu'il ait été maintenu pendant une période continue de deux mois, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit (…) ». Jugeant l’affaire au fond, il a considéré que « rien ne conduit à douter que l'affichage (…) ait duré deux mois » et rejette le recours comme tardif.

    Ainsi, dans cette espèce en tout cas, une simple photographie du panneau a semblé suffire pour fermer l’accès au prétoire, en l’absence de contestation sérieuse de la continuité de l’affichage. Quant à la contestation attendue des requérants, celle-ci s’effectue par des « éléments de nature à mettre en doute » cette continuité.

    Ceci sert sans doute à la sécurité juridique des opérations, y compris celles où le bénéficiaire a négligé de se ménager la preuve adéquate de la régularité de l’affichage.